Des titres à la « une », la fidélité à un idéal
Dans les tous derniers jours de l'année 2021, le JET européen, le plus gros tokamak en exploitation à ce jour, est parvenu pour la toute première fois à maintenir pendant plusieurs secondes un plasma en « mode H », doublant quasiment sa production d'énergie record de 1997. Un an plus tard, fin 2022 aux États-Unis, l'installation National Ignition Facility (NIF) dépassait le point d'équilibre énergétique, le seuil auquel l'énergie injectée dans le plasma est égale à celle générée par les réactions de fusion.
Bien que radicalement différents dans leur technologie et leur finalité, JET explorant la fusion magnétique et NIF la fusion inertielle par laser, les résultats obtenus par ces deux installations ont suscité un intérêt mondial, élevant la fusion au rang de source potentielle d'énergie durable. Les percées réalisées par JET et NIF ont contribué à renouveler l'image de la recherche sur la fusion, tout comme les investissements privés dans les start-up du secteur qui ont atteint le montant record de 4,8 milliards d'USD en 2022, soit une hausse de 139% par rapport à l'année précédente.
Les succès des grands projets publics et les promesses des initiatives privées ont fait la « une » des médias dans le monde entier. Tous les regards se sont à nouveau tournés vers ITER, le projet industriel vers lequel convergent la plupart des programmes de recherche sur la fusion à travers le monde.
Pour ITER, cette année a été marquée par le changement, le progrès, mais également par de considérables défis techniques et industriels. L'année a également été marquée par la disparition de Bernard Bigot le 14 mai, à l'âge de 72 ans, sept ans après avoir pris les rênes du programme ITER.
Quelques jours plus tôt, les 11 et 12 mai, l'équipe chargée de l'assemblage d'ITER avait réalisé l'une des opérations les plus spectaculaires et les plus complexes de toute la séquence d'assemblage de la machine : l'installation du premier des neuf modules de la chambre à vide dans le puits d'assemblage du tokamak.
La mise en place de ce composant gigantesque, aussi haut qu'un immeuble de cinq étages et aussi lourd que trois Airbus A380 à pleine charge, fut une véritable prouesse en termes de manutention et de coordination.
Mais le plus grand défi était à venir. Pour la première fois depuis le démarrage de la séquence d'assemblage, en 2020, ITER s'est trouvé confronté à un grave problème : des fissures ont été détectées dans les circuits de refroidissement de panneaux de bouclier thermique similaires à ceux du module déjà installé.
ITER est l'un des plus grands programmes scientifiques de tous les temps. Mais c'est également un extraordinaire défi industriel et humain. Les difficultés rencontrées en 2022 sont venues rappeler brutalement cette double nature.
Confronté au problème du bouclier thermique et à un autre revers technique dû à des non-conformités dimensionnelles sur les arêtes des secteurs de la chambre à vide, ITER a réagi comme l'aurait fait toute entreprise industrielle : des experts ont été réunis pour étudier différentes possibilités de réparation et analyser leur impact sur les coûts et le calendrier du programme.
Pour Pietro Barabaschi, le directeur général nommé par le Conseil ITER en septembre pour succéder à Bernard Bigot, cette situation n'était pas si exceptionnelle. Ancien responsable du programme collaboratif JT-60SA qui associe l'Europe et le Japon, il était bien placé pour connaître les difficultés que présente la construction d'un tokamak.
L'assemblage de la machine n'est que l'une des étapes de la construction d'ITER. Le programme progresse au fil d'une série d'activités menées en parallèle, très visibles pour certaines et beaucoup plus discrètes pour d'autres.
En 2022, les nouveaux bâtiments et structures sortis de terre sont venus ajouter une touche urbaine, presque futuriste, au paysage déjà spectaculaire de l'installation ITER.
La fabrication du dernier élément du cryostat, le couvercle de 665 tonnes, a été finalisée au mois de mars dans l'Atelier du cryostat, mettant un point final à une aventure industrielle de plusieurs années. Au terme de sept années de bons et loyaux services, la table de bobinage de l'installation de bobinage des aimants de champ poloïdal (Europe) a été démontée sitôt achevée la dernière des 30 doubles galettes. Une première bobine annulaire (PF5) a été installée au mois de septembre 2021 et une deuxième (PF2) a été entreposée dans la zone de stockage au mois de janvier suivant. Les ultimes phases de fabrication des deux dernières bobines (qui mesurent toutes deux 24 mètres de diamètre) sont en cours et devraient se terminer mi-2023 pour la bobine PF4 et mi-2024 pour PF3.
Au cours de l'année 2022, les Membres d'ITER ont livré au total sept « charges hautement exceptionnelles » : un secteur de chambre à vide, une bobine de champ poloïdal et cinq bobines de champ toroïdal. Par ailleurs, 34 « charges exceptionnelles conventionnelles », n'excédant pas 5 mètres de hauteur ou de largeur et pesant moins de 60 tonnes, ont été acheminées, tandis que 111 autres charges lourdes plus ordinaires étaient transportées par camion.
De manière moins visible, l'alimentation électrique, les transformateurs électriques alternatif/continu, les installations cryogéniques et le système d'évacuation de chaleur ont fait l'objet d'une mise en service progressive. Progressivement, sur les 42 hectares de la plateforme ITER, les systèmes ont commencer à ronronner, les actionneurs à cliqueter, l'eau et les fluides de refroidissement à circuler dans les tuyauteries et les vannes, et les ordinateurs à traiter des données. L'immense infrastructure industrielle d'ITER s'éveillait à la vie.
Après deux années de télétravail imposées par le Covid, la salle du Conseil ITER a retrouvé son animation et les délégués des Membres ont pu, à nouveau, se réunir en présence les uns des autres. La levée des restrictions a également été marquée par la réouverture du site au public, notamment lors des trois journées portes ouvertes organisées au mois de juin, septembre et novembre.
De nombreux invités de marque ont visité le site au cours de l'année 2022. Mohammad Sanusi Barkindo, le Secrétaire général de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui a été reçu à ITER peu avant son décès soudain, est resté « sans voix » face aux dimensions et à la complexité des installations. Au mois de juillet, Ban Ki Moon a perçu chez ITER « un esprit » de coopération des nations vers un objectif commun, comparable à celui qu'il avait connu pendant ses neuf années au poste de Secrétaire général des Nations Unies. Gabriela Hearst, directrice artistique de la maison de couture Chloé et fervente avocate de la fusion, a déclaré que sa visite d'ITER au mois de mai était un privilège et « probablement l'une des journées les plus enrichissantes de [sa] carrière professionnelle. »
Dans un contexte international difficile, ITER est resté fidèle à l'idéal de ses fondateurs : l'idée presque utopique selon laquelle les nations peuvent travailler ensemble de manière harmonieuse « pour le bénéfice de l'humanité tout entière. » C'est en cela aussi que l'année 2022 restera dans les mémoires.
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