Monde de la fusion

Le retour d’expérience d’ITER nourrit les approches innovantes

Plus de 30 entreprises de fusion privées venues des quatre coins du globe ont participé à l’atelier inaugural « La fusion dans le secteur privé » qui s’est tenu au mois de mai 2024. Quatre d’entre elles ont pris part à la session consacrée aux approches innovantes de la fusion, proposant un échantillon des solutions en cours d’expérimentation qui viennent enrichir la fusion par confinement magnétique et inertiel. Chacune de ces entreprises a cité plusieurs domaines précis dans lesquels l’expérience d’ITER pourrait lui être utile

En dehors des dispositifs de fusion par confinement magnétique et inertiel (tokamaks, stellarators, fusion par laser), des approches innovantes sont en cours d'exploration dans le monde entier.

Alors que les représentants des start-up et de l’industrie de la fusion retrouvaient les membres du personnel d’ITER pour la première journée de l’atelier « La fusion dans le secteur privé », au mois de mai 2024, le directeur général d’ITER Pietro Barabaschi a annoncé qu’ITER lançait une initiative ambitieuse visant à donner un coup d’accélérateur à l’industrie mondiale de la fusion en partageant son expérience dans la conception, la fabrication et l’assemblage de la machine ITER. 

Comme le rapporte un article publié à la suite de cette manifestation, « ITER a en grande partie réalisé la tâche monumentale consistant à concevoir et à construire l’installation de fusion la plus puissante jamais imaginée et assure actuellement son assemblage. Une formidable masse d’expérience a été accumulée tout au long de ce processus initié il y a plusieurs décennies. C’est cette expérience qu’ITER souhaite partager afin d’accélérer la marche vers la maîtrise de la fusion ».

Pendant deux jours, session après session, les start-up se sont succédé sur la scène pour présenter leur travail et répondre à la question : « En quoi ITER peut-il vous être utile ? ».

La start-up californienne TAE Technologies était la première intervenante de la session sur les approches innovantes de la fusion. Fondé en 1998, TAE décrit sa technologie comme : « une conception linéaire compacte qui utilise une configuration avancée de champ inversé (FRC) entraîné par faisceau d’accélérateur » (pour en savoir plus, cliquez ici). « Nous avons démontré qu’il était possible d’obtenir un fonctionnement stable en régime permanent et un paramètre bêta égal à 1 avec une injection de neutres continue, a déclaré Sergei Putvinski, le directeur général adjoint de la société. Nous avons également élaboré des scénarios de démarrage, d’alimentation et de contrôle du plasma, et testé les équipements de diagnostic permettant de mesurer les principaux paramètres du plasma. Le plasma se maintient tant que le faisceau de neutres est actif. » La société travaille actuellement sur une machine de sixième génération qui pourrait, selon elle, bénéficier de l’expérience d’ITER en matière de conception d’éléments face au plasma, de télémanipulation pour la maintenance des éléments et de bobines supraconductrices. « Et nous avons absolument besoin d’échanger des données, par exemple sous la forme de bases de données sur les propriétés des matériaux », a-t-il ajouté.

Michel Laberge, de la société canadienne General Fusion, a lui aussi affirmé que le partage des connaissances très spécifiques d’ITER serait utile pour son entreprise. La technologie innovante développée par sa société, la fusion par cible magnétisée, utilise des pistons pneumatiques pour comprimer un vortex de métal liquide, au sein duquel est injecté du plasma (pour en savoir plus, cliquez ici). « Notre concept présente plusieurs avantages. Tout d’abord, notre paroi de métal liquide résout le problème de la première paroi car il n’est plus nécessaire de recourir à un système de couverture complexe pour protéger la chambre à vide. Par ailleurs, la paroi de lithium liquide pur simplifie la production de tritium et l’extraction d’énergie. Ainsi, il est possible d’acheminer directement le lithium vers un échangeur de vapeur afin de produire la vapeur qui actionnera les turbines. » Michel Laberge, qui s’était déjà rendu sur le site ITER en 2017, s’intéresse au développement des systèmes de diagnostic.

« Toute personne travaillant dans le secteur de la fusion sait que les systèmes de diagnostic posent certaines difficultés. Les entreprises consacrent probablement 30% de leurs ressources au développement de ces systèmes. Ainsi, nous avons construit notre propre dispositif de diffusion Thomson et notre propre interféromètre. ITER travaille sur les systèmes de diagnostic depuis longtemps et nous pourrions bénéficier de son expérience, en particulier dans le domaine de la spectrométrie neutronique de temps de vol. »

Modérée par Julia Ponomareva (ITER Communication), la session sur les approches innovantes de la fusion a réuni (de gauche à droite) : Michel Laberge (General Fusion), Erik Oden (Novatron), Sergei Putvinski (TAE Technologies) et Eric Lerner (LPP Fusion).

La société suédoise Novatron Fusion a cité plusieurs domaines dans lesquels les décennies d’expérience d’ITER pourraient faciliter ses travaux de recherche et développement : accès aux codes de modélisation et de simulation, aide à la validation des modèles et partage des connaissances d’ITER relatives à la science des matériaux, aux technologies de chauffage, à la gestion des déchets et aux aimants. La société construit actuellement un dispositif à configuration ouverte dont la forme innovante a été conçue pour assurer sa stabilité (pour en savoir plus, cliquez ici).

« Notre solution est très simple et présente des avantages évidents, a expliqué Erik Oden, le cofondateur et président de la société. Cette solution est peu coûteuse, facilite l’alimentation en combustible et ne nécessite pas de divertor pour éliminer l’excédent de chaleur généré par le flux de neutrons. Elle permet un fonctionnement continu en régime permanent avec un paramètre bêta très élevé. Tous les aimants sont circulaires, ce qui facilite la construction et la stabilisation mécanique du dispositif. » Outre l’expérience d’ITER en matière de technologie de fusion, la société a indiqué qu’elle aimerait bénéficier d’un accès à la chaîne logistique développée pour le programme et de son expérience dans les domaines de la conformité réglementaire et des problématiques d’environnement, de santé et de sécurité.

Le dernier intervenant de la session consacrée aux approches innovantes de la fusion était LPP Fusion, qui travaille depuis 2008 au développement d’un focalisateur de plasma dense dans le New Jersey (États-Unis). Selon Eric Lerner, le président et directeur scientifique de la société, les focalisateur de plasma dense sont très compacts et peu coûteux. Avantage supplémentaire, ils utilisent un combustible aneutronique proton-bore (p-B11). « Par ailleurs, l’énergie étant produite sous la forme de particules en mouvement porteuses d’une charge électrique, il n’est pas nécessaire de faire appel à un équipement coûteux pour transformer la chaleur en électricité » (pour en savoir plus sur la technologie de LPP, cliquez ici). Eric Lerner aimerait en savoir plus sur les systèmes de refroidissement à l’hélium liquide d’ITER car l’hélium comprimé pourrait permettre de refroidir l’anode située au centre du dispositif développé par sa société, le « focus fusion generator ».

Tout comme l’assistance des séances sur le tokamak et sur le confinement inertiel, les participants à la session sur les approches innovantes de la fusion se sont accordés à reconnaître que l’initiative de partage des connaissances d’ITER arrivait à point nommé.

À la suite de l’atelier, ITER a réalisé une enquête de suivi en deux parties auprès de l’ensemble des participants afin de savoir quels seraient selon eux les canaux et plateformes les plus adaptés pour mettre en place une collaboration entre les initiatives privées sur la fusion et ITER et de dresser une liste hiérarchisée des thèmes les plus intéressants. Ce retour d’information, ainsi que les contributions de la Fusion Industry Association et de divers autres groupes, sont en cours d’intégration au sein d’un programme cohérent. Le développement de procédés efficaces utilisant au mieux les ressources limitées et l’élaboration de mesures adaptées pour protéger la propriété intellectuelle ont fait l’objet d’une attention particulière. Le projet de collaboration ITER-secteur privé autour de la fusion démarrera très prochainement.