Les yeux d'ITER
« Mon travail consiste à observer, explique Didier Camman, chef d'équipe détaché par MOMENTUM, le maître d'ouvrage qui coordonne les travaux d'assemblage d'ITER sous la supervision d'ITER Organization. Je suis les yeux des concepteurs, des ingénieurs et des superviseurs d'ITER et je veille à ce que les travaux soient réalisés dans le respect du calendrier et des spécifications techniques. »
La phase d'assemblage d'ITER est un gigantesque défi. Au total, la construction du tokamak ITER et d'une quinzaine de systèmes annexes fait appel à plus d'un million de composants et 10 millions de pièces, ce qui représente plusieurs milliers de contrats d'approvisionnement. Sur le terrain, ces chiffres se traduisent par la présence d'un grand nombre d'équipes de construction travaillant dans le cadre de différents contrats et par une documentation technique encyclopédique, depuis les lots techniques transmis par les responsables des systèmes et les tranches de travaux qui en découlent, en passant par les instructions d'installation détaillées fournies quotidiennement aux équipes des sous-traitants. Ainsi, de la même manière que tout projet de construction doit être supervisé en raison du décalage inévitable entre les travaux planifiés de manière idéale et les travaux tels qu'ils se déroulent effectivement, il est absolument essentiel pour ITER que le processus d'installation soit placé sous la surveillance d'un regard extérieur.
Didier, qui fait partie depuis 2019 des chefs d'équipe détachés par MOMENTUM chez ITER, est soudeur de formation et travaillait auparavant chez un fabricant de canalisations de Toulouse. Son expérience de terrain lui permet de réaliser une évaluation rapide des travaux qu'il supervise.
« Je m'efforce d'apporter un regard extérieur critique afin d'aider mes interlocuteurs à avoir une meilleure vision d'ensemble, explique Didier. Nous ne sommes pas amis mais notre rôle n'est pas non plus de faire la police. Nous sommes là pour faire avancer le projet ensemble. »
Huit chefs d'équipe de MOMENTUM coordonnent les lots de travaux concernant la machine et le bâtiment du Complexe tokamak. Cette équipe travaille en étroite liaison avec d'autres chefs d'équipe d'ITER Organization. Didier est actuellement affecté au contrat d'assemblage TCC2, qui couvre l'installation des circuits de refroidissement, des tuyauteries du système de vide et de diverses autres infrastructures. Les travaux qui relèvent de ce contrat sont réalisés par META SNC, un consortium international de travaux publics composé de Ponticelli Frères SAS, Cobra Instalaciones y Servicios SA et Empresarios Agrupados Internacional SA.
Fabriqués en Corée du Sud par Vitzro Tech, ces jeux de barres, longs de 3 à 14 mètres, pèsent plusieurs centaines de kilos. Le contrat TCC2 prévoit l'installation de plus de 190 jeux de barres parcourus chacun par un courant de 15 kilo ampères, soit environ cent fois l'intensité d'une installation domestique.
Pendant ses tournées sur le chantier du Complexe tokamak, Didier contrôle les travaux en cours sur les jeux de barres. Tout d'abord, il vérifie que le transport vers le bâtiment n'a causé aucun dommage aux barres elles-mêmes ou à l'infrastructure environnante. Il s'intéresse ensuite à la préparation des surfaces sur lesquelles seront fixés les jeux de barres. Enfin, il contrôle le boulonnage et le soudage.
Didier prend note de toutes ses observations, qui remontent jusqu'aux responsables des travaux. Les rapports préliminaires sont transmis à Martial Beaury, le conducteur de travaux de MOMENTUM, et les problèmes éventuels sont signalés à Marina Gómez Fernández, responsable de l'exécution du projet, qui travaille main dans la main avec Alfonso Marquez, le responsable du contrat ITER.
« Les chefs d'équipe sont assez discrets car leur rôle consiste à anticiper les problèmes avant qu'ils ne se posent, explique Marina, mais ils comptent parmi les acteurs clés des travaux de construction. »
Chez ITER Organization, c'est Sylvain Chartron, du groupe Gestion de Construction, qui coordonne le contrat avec MOMENTUM. Avant de rejoindre ITER, Sylvain travaillait sur des programmes nucléaires innovants ainsi que sur des projets éoliens offshore en mer Baltique. Il sait donc à quel point il est vital de détecter les difficultés très en amont dans le processus.
« Il est toujours plus facile de résoudre un problème à terre que sur une éolienne installée en mer. De même, il est largement préférable de s'assurer que les constructions d'ITER sont conformes aux spécifications avant de poursuivre les travaux dans le Complexe tokamak », souligne Sylvain.
Didier est convaincu que, contrairement au dieu Argos qui s'est laissé hypnotiser par la musique d'Hermès, les chefs d'équipe d'ITER ne baisseront la garde à aucun moment.
« Participer à un projet d'une telle envergure est un privilège, affirme Didier. À la fin de la journée, c'est ce qui nous incite à en faire toujours un peu plus pour éviter les problèmes. »