Science d'ITER

Qu'est-ce qu'un plasma en combustion ?

Le rêve de la fusion repose avant tout sur l'obtention d'une réaction de fusion auto-entretenue, dans laquelle la plus grande partie de la puissance de chauffage provient de la réaction elle-même et non de sources externes. C'est là tout l'objectif d'ITER : parvenir à créer ces conditions de manière stable et prévisible afin de pouvoir commencer à développer les centrales de fusion du futur.
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Les plasmas auto-chauffants sont le point de départ de la production d'électricité à partir d'énergie de fusion. Ils permettront d'obtenir des réactions de fusion continues tout en réduisant fortement la puissance injectée par les sources de chauffage externes. La communauté ITER, et notamment Simon Pinches de la division Science, a commencé à construire les modèles prédictifs qui, une fois modifiés en fonction des données expérimentales recueillies, seront de précieux outils pour gérer et contrôler les plasmas en combustion d'ITER.
« C'est un peu le principe du barbecue, explique Simon Pinches, le chef de la Section modélisation et analyse du plasma. Des aides extérieures, par exemple un soufflet, sont souvent nécessaires pour faire démarrer les flammes mais une fois que le charbon de bois est suffisamment chaud, le feu produit sa propre chaleur et le barbecue devient auto-chauffant. »

Installé en Provence depuis dix ans, Simon Pinches connaît bien les barbecues mais il connaît encore mieux la physique des plasmas. Il a réalisé sa thèse de doctorat (Interaction non-linéaire des particules rapides avec les ondes d'Alfvén dans les tokamaks) au Royaume-Uni dans les années 1990 avant de passer la décennie suivante en Allemagne, à l'Institut Max-Planck de physique des plasmas, près de Munich. Après avoir travaillé quatre ans pour le JET européen et six ans pour l'autorité britannique de l'énergie atomique (UKAEA), il a rejoint ITER en 2012.

« Notre but ici, chez ITER, est de produire des plasmas dont le gain d'énergie de fusion (Q) est supérieur ou égal à 10, indique-t-il. En d'autres termes, si nous apportons une puissance calorifique de 50 mégawatts, notre objectif est d'obtenir 500 mégawatts d'énergie de fusion. »

80% de l'énergie de ces 500 mégawatts est transportée par des neutrons non chargés, qui partent à haute vitesse du plasma et réchauffent les parois du tokamak. C'est cette énergie qui sera utilisée pour alimenter les turbines à vapeur des futures centrales de fusion. Les 20% restants sont transportés par des particules alpha chargées se déplaçant très rapidement, qui ne peuvent pas s'échapper du plasma. Leur collision avec les autres particules provoque un auto-chauffage du plasma, contribuant à la réaction de fusion à hauteur de 100 mégawatts (ou le double de la quantité initiale apportée par les sources externes).

« Cependant, pour que la réaction de fusion puisse démarrer, il faut que le plasma soit vraiment très chaud, souligne Simon Pinches. Et pour cela, nous ferons appel à trois méthodes : le chauffage ohmique, l'injection de neutres, et la combinaison de deux sources d'ondes électromagnétiques à haute fréquence. »

Ces trois méthodes de chauffage du plasma ont des équivalents dans notre vie quotidienne.

Ainsi, le chauffage ohmique, qui interviendra au tout début du processus, repose sur les mêmes principes qu'un grille-pain ou un radiateur électrique : il utilise la résistance électrique pour produire de la chaleur, en faisant passer un courant dans le plasma dans le cas d'ITER.

Quant à l'injection de neutres, elle fonctionne un peu comme la buse vapeur d'une machine expresso, mais à une toute autre échelle. « Chacun des deux injecteurs de neutres est plus gros qu'une voiture de TGV et produira 33 des 50 mégawatts de puissance injectée totaleLes injecteurs, qui fonctionnent chacun à un méga-électron volt, le type de tension que l'on retrouve sur les grands réseaux électriques, injectent des faisceaux de particules neutres dans le plasma. Lorsque ces particules entrent en collision avec d'autres particules dans la chambre du tokamak, elles libèrent leur énergie et l'ensemble se réchauffe. »

Enfin, les ondes électromagnétiques à haute fréquence fonctionnent selon le même principe de base qu'un four à micro-ondes mais, là encore, à une échelle gigantesque. Des faisceaux de rayonnement électromagnétique à haute intensité, l'un pour les ions et l'autre pour les électrons, chauffent encore le plasma en lui apportant plusieurs dizaines de mégawatts d'énergie.

Mais une fois que le plasma est entré en combustion, une nouvelle question se pose : comment le gérer et le contrôler ?

« Lorsque le plasma devient auto-chauffant, les deux-tiers de la puissance proviennent de l'intérieur de la machine et un tiers à peine de l'extérieur. Il est alors plus difficile à gérer, dit Simon Pinches. Mais il est essentiel que nous parvenions à le faire, surtout à l'échelle d'ITER. Si nous perdons le contrôle du plasma, par exemple s'il devient verticalement instable, il peut percuter la paroi et soumettre les composants de la machine à d'importantes charges thermiques et mécaniques. »

« C'est là qu'intervient le système d'amortissement des disruptions d'ITER, poursuit-il, qui nous apporte une protection supplémentaire permettant d'atténuer de différentes manières les conséquences de ce type d'événements. L'une de ces méthodes consiste à injecter dans le réacteur des glaçons de deutérium, de néon ou d'argon de la taille d'un bouchon de champagne. Ces glaçons dissipent l'énergie, ce qui refroidit le plasma et réduit les charges de disruption supportées par la machine. »

« Mais, bien sûr, il est largement préférable d'éviter ces charges extrêmes. C'est pourquoi nous commencerons l'exploitation avec des courants moins élevés et des champs magnétiques moins forts et moins puissants. Nous monterons en puissance de manière graduelle, en tirant les enseignements de ce que nous observerons au fil du temps. »

Cette progressivité est importante car les scientifiques s'attendent à des effets non-linéaires, avec des changements soudains de comportement du plasma lorsque les niveaux d'énergie augmenteront. En effet, des phénomènes comme les turbulences et les instabilités du plasma pourront se révéler très différents selon les niveaux de puissance injectée.

Les fameuses ondes d'Alfvén (d'après Hannes Alfvén, le seul lauréat du prix Nobel en physique des plasmas, qui lui a été décerné en 1970) sont une problématique majeure des plasmas en combustion. Les particules et le champ magnétique présents à l'intérieur du tokamak génèrent des formes d'ondes qui pourraient finir par expulser les particules alpha chargées du plasma, de la même manière qu'un surfeur se laisse flotter sur la houle jusqu'à ce qu'une vague suffisamment forte l'emporte vers le rivage à grande vitesse.

« Si les surfeurs recherchent ce phénomène, il devient tout à fait indésirable dans le cas de nos particules alpha chargées, qui sont indispensables pour créer et entretenir la combustion du plasma, souligne Simon Pinches. Si ces particules sont expulsées du plasma, nous commençons à perdre de la puissance et l'ensemble se refroidit. »

Trouver un moyen de gérer ce phénomène constitue une part essentielle de son travail. Il passe beaucoup de temps à travailler avec des modèles prédictifs, en exploitant la puissance des super-ordinateurs, de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique.

« Nous utilisons notre suite de modélisation et d'analyse intégrée (IMAS) pour construire des modèles prédictifs pour tous les scénarios, dit-il. Cette suite s'articule autour d'une représentation standard des données, avec un grand nombre de métadonnées. Il s'agit d'un logiciel portable, auquel ont accès tous les Membres d'ITER. »

L'objectif est de disposer d'un simulateur de plasma à haute fidélité permettant à Simon et à ses collègues, ainsi qu'à d'autres scientifiques à travers le monde, de développer et de tester différents scénarios pour le plasma, et ainsi de mieux comprendre ce qui se passe à l'intérieur de la machine. Des simulations poussées ont commencé.

« Lorsque nous atteindrons le stade du premier plasma, nous pourrons comparer les prévisions obtenues par modélisation avec les résultats réels. Cela nous permettra d'affiner nos modèles très en amont du stade des plasmas en combustion et des réactions de fusion, de les retravailler et de faire des réglages en fonction des besoins. »

« C'est ce que j'adore avec la fusion, et c'est pour cela qu'elle me fascine depuis l'université, conclut-il. La fusion est un défi, une discipline passionnante et non-linéaire. Mais avant tout, il s'agit d'une science qui poursuit des objectifs, qui possède le potentiel nécessaire pour assurer la sécurité énergétique de l'humanité toute entière. »