Dans les forges d'ITER
Trois mille ans ont passé et l'acier joue un rôle toujours plus central dans notre civilisation. La production mondiale, qui n'atteignait pas 30 millions de tonnes en 1900, a dépassé le milliard et demi de tonnes en 2013.
L'acier d'aujourd'hui n'est plus, loin s'en faut, celui des fourneaux de l'âge du fer. Si la recette de base demeure (du fer et une pincée de carbone), la palette des fabrications compte désormais des centaines de « nuances » différentes — les aciéristes, sur ce point, utilisent le même vocabulaire que les parfumeurs.
Chacune de ces nuances, finement ajustée, répond à des exigences précises : l'acier d'une carrosserie automobile n'est pas celui d'une charpente métallique ; celui d'un rail de TGV a peu de points communs avec celui d'une citerne alimentaire.
Certaines activités, certains équipements, requièrent des aciers plus sophistiqués encore.
A une centaine de kilomètres au sud-ouest de Dijon, la société Industeel-Le Creusot, (héritière des forges Schneider fondées en 1836 et désormais intégrée au géant indien Arcelor-Mittal), s'est spécialisée dans ces productions particulières — ces « nuances » subtiles dont la machine ITER sera grande consommatrice.
Depuis les premiers prototypes de chambre à vide, réalisés en 2004, jusqu'aux récentes commandes passées par les industries coréenne, russe, indienne et européenne, Industeel-Le Creusot a livré près de 10 000 tonnes de plaques d'aciers, dans des dizaines d'épaisseurs et de « nuances » différentes, au programme ITER.
L'élaboration de ces aciers est avant tout affaire de chimie : une bonne dose de chrome empêchera l'oxydation ; quelques pourcents d'azote amélioreront les propriétés mécaniques ; un zest de titane, de niobium ou de molybdène conférera à telle nuance une meilleure résistance à la corrosion ; un soupçon de bore permettra à une autre de mieux absorber les neutrons — qualité essentielle pour certaines des pièces d'ITER.
Mais si la chimie est à la base de tout, les procédés de fabrication jouent également un rôle essentiel. « L'industriel coréen, par exemple, qui fournit le bouclier thermique de la machine, doit ajouter une fine couche d'argent aux plaques d'acier que nous lui livrons, explique Jean-Christophe Gagnepain, le directeur des ventes d'Industeel-Le Creusot. La qualité de cette couche dépend de la parfaite régularité de la surface des plaques qui sortent de nos installations. »
L'aciérie a déjà livré 5 000 tonnes de ces « aciers de spécialité » à l'Inde, dont une moitié pour la fabrication du cryostat ; 3 500 tonnes au Japon et à la Corée et quelque 300 tonnes à la Russie.
Ce qui naît ici, dans l'un des bassins industriels les plus anciens du pays, c'est une bonne part d'ITER : d'énormes lingots d'acier qui, une fois laminés, prendront la mer pour les usines de Corée, d'Inde, de Russie ou du Japon. Là, l'acier du Creusot deviendra section de chambre à vide ou de cryostat, bouclier thermique, éléments de paroi ou du système magnétique.