Prêt pour la mise en service
Le vide très poussé qui règne à l’intérieur de la chambre à vide d’ITER, où se dérouleront les réactions de fusion, est comparable à l’atmosphère de la lune. À lui seul, le pompage mécanique classique ne suffirait pas à créer un environnement aussi extrême. Fort heureusement, une loi de physique très simple offre une solution permettant de compléter le pompage mécanique initial et d’obtenir les conditions de vide requises avant l’activation du plasma.
Lorsqu’une molécule ou un atome entre en contact avec une surface spongieuse extrêmement froide, elle perd la plus grande partie de son énergie et ralentit au point de quasiment s’immobiliser. L’intensité de ce phénomène, appelé « sorption », est proportionnelle à la température : plus la surface est froide, plus son pouvoir de fixation est irrésistible. ITER sera doté d’un ensemble de huit pompes cryogéniques, les « cryopompes », dans lesquelles des panneaux revêtus de charbon actif refroidis à quelques degrés au-dessus du zéro absolu (4 K ou moins 269°C) piégeront les particules dans leur réseau microscopique.
Fournies par l’Europe, six cryopompes seront positionnées autour de la chambre à vide du tokamak et deux autres seront raccordées au cryostat. Cinq de ces pompes ont déjà été livrées, les trois autres sont attendues prochainement.
Les cryopompes destinées à la chambre à vide (qui a un volume de 1 400 m³) rempliront une double mission : produire un vide très poussé avant l’injection des combustibles de fusion et, grâce au processus de sorption, extraire le combustible non brûlé et les « cendres » d’hélium générés par la réaction de fusion deutérium-tritium.
Les cryopompes fonctionneront par cycles : une phase de pompage, aux températures cryogéniques, et une phase de « régénération », à des températures pouvant atteindre 470 K (200°C), durant laquelle les particules piégées seront libérées. Les cryopompes, qui devront fonctionner dans une plage de températures extrêmement large, comptent parmi les éléments les plus complexes de l’installation ITER. Ces cylindres en acier de 8 tonnes, 1,6 mètre de diamètre et 3,5 mètres de longueur contiennent une mécanique de précision avec des pièces en mouvement, qui constituent les plus grosses vannes à vide entièrement en métal au monde. Plus de vingt entreprises de haute technologie européennes sont intervenues dans leur fabrication.
Comme tous les éléments d’ITER, les cryopompes du tore et du cryostat font l’objet d’une batterie complète d’essais de réception en usine avant leur expédition. Cependant, cela ne suffit pas à garantir qu’elles fonctionneront comme prévu pendant l’exploitation du tokamak. Pour éviter toute incertitude et préparer la mise en service d’ITER, une installation d’essai a été créée l’an dernier à l’intérieur de l’usine cryogénique. Au cœur de cette installation se trouve une grosse chambre à vide cylindrique raccordée à l’unité de distribution de fluides de l’usine cryogénique. Lorsque l’usine cryogénique sera opérationnelle, elle devra mobiliser 25% de sa charge pour porter les cryopompes d’ITER aux températures cryogéniques—ses premiers « clients ».
Le mercredi 14 janvier, le directeur général d’ITER Pietro Barabaschi a visité l’installation, qui est aujourd’hui prête pour la phase de mise en service. « Nous testerons tous les processus cryogéniques », explique Alessandra Iannetti, ingénieur au sein du programme Installations à vide d’ITER. Les essais, qui débuteront ce mois-ci, utiliseront de l’hélium « chaud » à température ambiante pour démontrer le bon fonctionnement des composants mécaniques des cryopompes, notamment les vannes et les systèmes de verrouillage. Puis, dès que les fluides de l’usine cryogénique seront disponibles, la température de l’installation sera progressivement abaissée à 80 K (moins 193°C) afin de détecter les éventuelles fuites et pertes thermiques, puis à 4 K, la température de fonctionnement des cryopompes.
Après vérification de la fonctionnalité des cryopompes, les équipes s’intéresseront aux aspects scientifiques du pompage des particules, de la régénération des pompes, du captage et de la libération du combustible non brûlé et des « cendres ». Avant de passer à l’hydrogène, différents gaz de masse moléculaire comparable, tels que l’hélium et le néon, seront utilisés comme substituts pour simuler les différents scénarios d’exploitation du plasma.
Le fonctionnement de l’installation d’essai des cryopompes apportera un précieux retour d’expérience pour une autre installation beaucoup plus imposante : l’installation d’essai cryogénique des aimants, qui commencera à réaliser des essais cryogéniques sur les grosses bobines de champ toroïdal du tokamak1 d’ici la fin de l’année.
¹L’installation sera implantée dans l’installation de bobinage des aimants de champ poloïdal, qui est en partie vacante. Les dimensions de son cryostat permettront aussi de tester la plus petite des bobines de champ poloïdal d’ITER, la PF1 fournie par la Russie.