La production d’hélium liquide a démarré

« C’est un peu comme exploiter un mini-ITER »

Certains matins particulièrement frais, de légers panaches de vapeur s’élèvent des cellules de refroidissement d’ITER—le signe que l’installation produit de la chaleur et que celle-ci est évacuée par le système de rejet thermique. Depuis le début du mois de septembre, ce sont les puissants compresseurs (de l’ordre du MW) installés dans l’unité d’hélium liquide de l’usine cryogénique qui produisent l’essentiel de cette chaleur. Douze d’entre eux, sur un total de 18, assurent dès à présent la compression de l’hélium gazeux pour alimenter l’une des trois boîtes froides de l’usine cryogénique. À l’intérieur de ce gigantesque réfrigérateur, le gaz est traité puis liquéfié afin d’être distribué à certains éléments tels que les bobines supraconductrices et les cryopompes du tokamak, qui fonctionnent à une température de 4 K (moins 269°C), proche de celle du vide interstellaire.

Douze puissants compresseurs, sur un total de 18, sont actuellement en service dans l’usine cryogénique d’ITER. L’hélium liquide à 4 K (moins 269°C) est destiné au système magnétique et aux cryopompes du tokamak, mais aussi à la future installation de test cryogénique, dont la mise en service débutera en juillet prochain.

Pourquoi produire de l’hélium à 4 K dès aujourd’hui, alors que le tokamak n’est pas encore assemblé ? Parce que la machinerie extrêmement complexe de l’usine cryogénique, dont le bon fonctionnement est absolument crucial pour ITER, doit être testée dans des conditions aussi proches que possibles de la future réalité. Non programmée initialement, la décision de construire une installation de test cryogénique pour les bobines du tokamak1, a été prise l’année dernière, conférant un certain caractère d’urgence aux préparatifs. La conception finale de cette installation vient d’être approuvée et sa mise en service devrait débuter en juillet prochain, les premiers tests étant prévus pour la fin de l’année 2025. Tout comme le tokamak pendant la phase d’exploitation, mais dans des quantités moindres, l’installation de test cryogénique aura besoin d’un flux régulier d’hélium liquide tout au long de ses deux à trois années d’activité2.

La production de quantités significatives d’hélium liquide n’est que la première étape du processus qui démontrera le bon fonctionnement de cette partie de l’usine cryogénique. Un autre test important sera réalisé pour simuler les charges exercées par le système magnétique du tokamak sur le flux d’hélium liquide. « C’est plutôt inhabituel dans le monde des installations cryogéniques de grande taille, dans lesquelles les charges sont généralement stables, explique Marie Cursan, ingénieur projet au sein du programme Système cryogénique d’ITER. Lors d’une décharge de plasma dans un tokamak, l’intensité de la charge varie et adopte une forme inhabituelle, à laquelle nous devons nous adapter. »

Les essais en cours simulent les variations des charges exercées par le système magnétique du tokamak sur le flux d’hélium liquide. « C’est plutôt inhabituel dans le monde des installations cryogéniques de grande taille, dans lesquelles les charges sont généralement stables », explique Marie Cursan, ingénieur projet au sein du programme Système cryogénique.

Sous l’effet de ces variations, de petites quantités d’hélium liquide présentes dans les aimants s’évaporent. Pour compenser ces pertes, il faudra recourir à une instrumentation complexe et à des systèmes automatisés conçus pour maintenir un niveau de fluide constant. Pendant la phase de mise en service c’est un cryostat à demi rempli d’hélium liquide et installé dans une boîte froide, qui joue le rôle du futur tokamak. Équipé de puissants réchauffeurs électriques, ce dispositif simule les charges qui seront générées par les décharges de plasma et d’autres événements. Le cryostat contient environ 3 500 litres d’hélium liquide, alors que 200 000 litres (environ 25 tonnes) circuleront à terme dans le tokamak.

Les systèmes cryogéniques sont à ce point essentiels dans le fonctionnement du futur tokamak qu’un grand nombre des systèmes industriels de l’installation sont impliqués dans la mise en service de l’unité d’hélium liquide. « Nous devons travailler en étroite coordination avec les équipes chargées des essais et de l’exploitation du système d’évacuation de chaleur et du circuit de refroidissement secondaire, comme avec celles de la distribution électrique, des servitudes industrielles et de la coordination et de la gestion d’ensemble des opérations, indique David Grillot, le directeur adjoint des systèmes industriels d’ITER. C’est un peu comme si nous exploitions un mini-ITER ».

Tant que le Bâtiment de contrôle n’est pas disponible, les personnels d’ITER et d’Air Liquide pilotent les activités de l’usine cryogénique depuis les salles de contrôle provisoires.

L’équipe cryogénique d’ITER et les experts d’Air Liquide demeureront mobilisés pendant près d’un an pour affiner les réglages des machines et des systèmes de l’unité d’hélium liquide, et mettre en service l’ensemble des compresseurs et des boîtes froides.

L’activité de l’usine cryogénique ne s’arrête pas là. Le processus de mise en service d’une deuxième infrastructure cryogénique de taille industrielle, qui produira3 de l’azote liquide à 80 K pour les opérations de pré-refroidissement, vient d’être lancée avec le récent démarrage des deux premiers compresseurs d’azote centrifuges.

1 Située dans l’installation de bobinage des aimants de champ poloïdal en partie vacante, l’installation testera les bobines de champ toroïdal en forme de « D » ainsi que la plus petite des bobines de champ poloïdal (PF1), fournie par la Russie.

2 L’installation de test pour les cryopompes, qui abordera bientôt la phase de mise en service, utilisera elle aussi les fluides de refroidissement produits par l’usine cryogénique.

3 Tant que la production d’azote extrait de l’air ambiant n’a pas commencé, ITER dépend de livraisons quotidiennes par camion citerne.