Objectif : trois fois plus vite !
Au mois de janvier 2023, ITER a réalisé l‘une des opérations les plus délicates de toute son histoire : l’extraction du secteur-module n°6 de la chambre à vide, deux ans après son installation dans le puits d’assemblage du tokamak. L’opération, rendue nécessaire par la mise en évidence de non-conformités dimensionnelles au niveau des interfaces des secteurs et de fissurations dans le circuit de refroidissement des écrans thermiques, a consisté à extraire puis à démonter cet ensemble modulaire aussi haut qu’un immeuble de cinq étages et aussi lourd que trois avions gros porteurs à pleine charge. La réparation de ces défauts ne pouvait être menée à bien qu’à l’extérieur du puits d’assemblage. L’opération de « rétrolevage », qui a duré quatre jours, puis le processus de démontage au cours des six mois suivants ont été particulièrement riches d’enseignements. Au final, le retour d’expérience de l’ensemble de ces opérations devrait permettre de réduire d’un facteur de 2,5 à 3 le temps d’assemblage de chacun des neuf modules de la chambre à vide d’ITER.
L’assemblage du secteur-module n°6, constitué d’un assemblage d’éléments aux caractéristiques uniques, était une opération sans précédent¹, tout comme le processus de démontage une fois le module extrait du puits du tokamak et installé dans l’un des portiques de manutention. « Nous avons énormément appris durant ces deux opérations, en particulier lorsque nous avons commencé à démonter le module, explique Sergio Orlandi, le responsable du programme de construction d’ITER. Démonter est la méthode la plus efficace pour améliorer les procédures d’assemblage et la fiabilité des opérations. »
Le retour d’expérience ne concerne pas seulement les éléments de la chambre à vide et ses enseignements ne sont pas exclusivement d’ordre technique. « Beaucoup de choses laissaient à désirer, notamment le fonctionnement des ponts roulants, qui s’est révélé être le maillon faible de l’assemblage des secteur-modules, souligne Sergio Orlandi. Nous avons lourdement investi dans la maintenance, rationalisé la gestion des outillages, remplacé les capteurs défectueux et amélioré l’efficacité générale des systèmes d’instrumentation et de commande. »
Lors de l’assemblage initial du secteur-module n°6, un temps précieux a été perdu du fait de la lenteur des procédures de validation des documents techniques, particulièrement celles des consignes transmises aux sous-traitants. Cette fois-ci, un nouveau consortium (CNPE²) est à l’œuvre et une approche différente, plus efficace, a été mise en place pour les opérations d’assemblage en cours et futures. « Désormais, les documents sont prêts au moment de la signature du contrat, dit-il. Le périmètre des travaux est clairement défini et assorti d’un prix ferme, ce qui fait toute la différence. Durant l’assemblage, nous avons seulement besoin de la validation de l’entité chargée de certifier la conformité aux normes nucléaire, l’organisme d’inspection agréé3. C’est une évolution importante. Nous réduisons les temps morts pour améliorer l’efficacité et la qualité des opérations. »
Des mesures visant à gagner du temps ont également été mises en place dans un autre domaine : la métrologie. Les techniques de métrologie permettent de contrôler la configuration finale d’un élément ainsi que l’alignement des éléments contigus. Ces données sont ensuite utilisées pour la fabrication des cales qui seront insérées dans les interstices entre deux surfaces adjacentes. « La métrologie nous prenait également beaucoup de temps car elle était réalisée par différente entreprises à différents niveaux de responsabilité et les résultats n’étaient pas toujours cohérents. Là encore, nous avons rationalisé notre approche et la métrologie est désormais exclusivement assurée par ITER Organization. Nous avons considérablement amélioré notre compréhension et notre maîtrise de la complexité d’ensemble des opérations ainsi que des données requises pour les applications techniques. »
Tous les progrès, toutefois, ne sont pas concrets et quantifiables. « L’état d’esprit » qui anime les équipes a également joué un rôle essentiel dans les améliorations techniques, administratives et organisationnelles apportées aux opérations. « Les équipes sont déterminées, affirme Sergio Orlandi. Elles travaillent en trois postes de 8 heures et ne feront pas de pause pendant les fêtes de Noël. Leur motivation a un impact indéniable sur la qualité des travaux. »
Le responsable du programme de construction d’ITER est convaincu que les nouvelles méthodes et procédures, l’organisation améliorée, la fiabilité et l’efficacité des outillages et, plus important encore, la détermination collective permettront aux équipes d’achever l’assemblage du secteur-module n°7 au premier trimestre 2025—soit sept mois et demi de travail contre 18 mois pour l’assemblage initial du secteur-module n°6. « Nous souhaitons faire encore mieux pour le ré-assemblage du secteur-module n°6, que nous prévoyons de réaliser en six mois. » Le processus de réparation du secteur-module n°6 tire aujourd’hui à sa fin : la première face de l’élément est achevée, la face opposée le sera dans les jours qui viennent.
L’assemblage des modules devra désormais être réalisé en six mois, conformément à l’ambitieux objectif de Sergio Orlandi. « Notre calendrier est serré et très ambitieux, conclut-il, et les enjeux sont considérables ».
¹Chaque module est composé d’un secteur de chambre à vide et des panneaux d’écran thermique correspondants, ainsi que de deux bobines de champ toroïdal. La chambre toroïdale du tokamak, dans laquelle se produiront les réactions de fusion, est composée de neuf modules de 40 degrés assemblés et soudés les uns aux autres.
²Le Consortium CNPE (China Nuclear Power Engineering, China Nuclear Industry 23 Construction Company Ltd., Southwestern Institute of Physics, Institute of Plasma Physics, Chinese Academy of Sciences ASIPP et Framatome) est chargé du sous-assemblage des modules de secteur (assemblage des bobines de champ toroïdal et des panneaux d’écran thermique sur les secteurs de chambre à vide). En partenariat avec SIMIC S.p.A., CNPE exécute aussi le contrat d’assemblage dans le puits du tokamak des 9 secteur-modules.
³Un organisme d’inspection agréé (OIA) est une entité autorisée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à évaluer la conformité des équipements sous pression nucléaires (ESPN).