Anniversaire

Le système de gestion documentaire d’ITER fête ses 20 ans

Les gros projets, quelle que soit leur nature, génèrent un nombre considérable de documents. Et lorsque les partenaires se trouvent dans plusieurs pays différents, comme c’était le cas pour ITER au début des années 2000, un double défi se pose : organiser et gérer les documents, mais aussi les rendre facilement accessibles à toutes les personnes concernées. D’un simple clic de souris, il est aujourd’hui possible de télécharger rapidement un dessin technique, une feuille de calcul ou un rapport détaillé où qu’ils se trouvent dans le monde. Mais il y a 20 ans, alors qu’ITER entrait dans la phase de négociation du site avec des équipes scientifiques et techniques de Naka, au Japon, et de Münich/Garching, en Allemagne, ainsi que des décideurs politiques basés à Bruxelles, Moscou, Tokyo, Washington puis, peu après, à Pékin et Séoul¹, les choses étaient loin d’être aussi simples.

L’équipe IDM pose aux côtés du directeur général d’ITER Pietro Barabaschi à l’occasion du 20e anniversaire du téléchargement du premier document. De gauche à droite : Bisale Sonali ; Jean-Daniel Delaplagne ; Carlo Capuano, le co-créateur du système IDM ; Robert Papp, qui a piloté le développement du système IDM de 2007 à 2020 ; Vincent Burle ; Thinde Rajvinder ; Peter Finch ; et Ksenia Pachueva.

Certains outils existaient déjà à l’époque : à la fin des années 1990, le courrier électronique était parfaitement opérationnel et le protocole de transfert de fichiers FTP permettait de télécharger des documents volumineux. Le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), qui travaillait très activement à promouvoir le site de Cadarache pour l’implantation d’ITER, avait développé un site web « très réussi » de l’avis général. Mais, pour des raisons évidentes, le programme international ITER avait besoin de son propre outil.

Deux hommes ont joué un rôle clé dans la création du futur système de gestion documentaire d’ITER (IDM), qui demeure aujourd’hui encore essentiel pour les activités du programme. Le premier d’entre eux était Hans-Werner Bartels, un physicien qui contribuait à la sûreté nucléaire d’ITER depuis 1994 et venait d’être nommé à la tête de l’équipe informatique de Garching, encore embryonnaire. « Les physiciens savent tout faire », affirmait-il sur le ton de la plaisanterie. Le deuxième était le responsable adjoint du programme Pietro Barabaschi, à l’époque numéro deux d’ITER sous les ordres de Yasuo Shimomura. Tout au long du processus de création et de mise en place du système IDM, les deux hommes ont été épaulés par Carlo Capuano, considéré par Hans-Werner Bartels comme « le Léonard de Vinci de l’informatique », ainsi que par Judith Campbell, « qui faisait inlassablement la navette d’un bureau à l’autre » pour expliquer le fonctionnement du système en cours de création.

Le vendredi 4 octobre 2024, ITER a commémoré le petit événement qui, selon le directeur général Pietro Barabaschi, a amorcé ce qui devait devenir une « réussite exemplaire » : le téléchargement, très précisément vingt ans plus tôt, d’un premier document¹ dans le système de gestion documentaire du programme (IDM), aujourd’hui bien connu de tous et omniprésent.

Les anniversaires permettent de raviver les souvenirs et de se projeter dans le futur. Le directeur général d’ITER s’est souvenu comment, en 2004, Hans-Werner Bartels lui avait conseillé de ne pas recourir à un logiciel commercial pour gérer les documents du programme, lui proposant de créer un prototype d’application « maison » et lui fournissant un mois plus tard une application parfaitement fonctionnelle. Carlo Capuano, lui aussi physicien de la fusion, lui avait expliqué les défis associés aux besoins spécifiques d’ITER, depuis la variété, la forme et la quantité des données produites jusqu’à la nécessité de garantir un accès ininterrompu à des utilisateurs répartis entre une dizaine de fuseaux horaires.

S’il a évolué au fil des ans, le système IDM utilisait il y a peu encore un langage et des interfaces dépassés et ne tirait pas pleinement parti des progrès spectaculaires de la technologie de l’information ces deux dernières décennies. Mais avec la refonte actuelle, il rattrape rapidement son retard. Ainsi, l’assistante d’intelligence artificielle « Lucy » est déjà capable de comprendre « le langage naturel et l’intention » des utilisateurs afin de leur proposer « les correspondances les plus pertinentes ». La vitesse du système sera bientôt multipliée par cent. « Nous sommes maintenant prêts pour les 30 prochaines années ».

¹ Sans surprise, le premier document téléchargé dans le tout jeune système IDM était... son mode d’emploi.

Hans-Werner Bartels se souvient très précisément du jour où l’idée du système IDM a commencé à germer dans son esprit. « Un jour de janvier 2004, Pietro est entré dans mon bureau pour me dire que notre gestion documentaire laissait à désirer et que nous n’avions aucune stratégie. Le courrier électronique/FTP était un système d’échange de fichiers sommaire alors qu’ITER, de par sa nature, avait besoin d’un système réparti dans le monde entier. » 

S’appuyant sur ses dix années d’expérience de la sûreté nucléaire au sein du programme ITER, pour lequel il était essentiel que les membres puissent échanger des documents volumineux, Hans-Werner Bartels a proposé une application web capable d’héberger tous les types de documents. L’ensemble des fichiers seraient accessibles à toute personne en ayant besoin, ce qui nécessitait, pour une coopération internationale « sérieuse », un réseau d’échange doté d’une largeur de bande suffisante. « Grâce à la puissante connexion internet de l’Institut Max-Planck de physique des plasmas de Garching, qui hébergeait alors le programme ITER, il était possible de transférer des fichiers à une vitesse de 100 Mbits par seconde, un très bon débit pour l’époque, 10 fois supérieur à celui dont disposait le JET. À titre de comparaison, le réseau est mille fois plus rapide aujourd’hui. » 

Le système IDM a été mis en place en un temps record. Depuis le téléchargement du premier document, le 4 octobre 2004, il s’est développé de manière exponentielle et il contient aujourd’hui plus d’un million de documents. « Cette nouvelle ressource a été très bien accueillie, explique Hans-Werner Bartels. ITER et la communauté mondiale de la fusion l’attendaient avec impatience. »

Vingt ans plus tard, le système IDM est toujours un formidable atout. « Certes, il n’est pas très moderne, et pas aussi convivial que nous le souhaiterions, reconnaît Hans-Werner Bartels, qui est de retour chez ITER en tant que responsable de la division Intégration centrale après avoir passé dix années à la tête du service informatique entre 2004 et 2012. Le système IDM utilise une technologie vieille de 15 ans mais il fait actuellement l’objet d’une vaste refonte. Nous voulons qu’il soit accessible depuis les écrans de petite taille comme ceux des smartphones et nous espérons doper l’efficacité du moteur de recherche grâce à l’introduction de l’intelligence artificielle. » 

Hans-Werner Bartels (au centre) et l’équipe informatique d’ITER en 2011.

Le système IDM doit aujourd’hui relever un défi : préparer et être prêt à temps pour le démarrage de la machine, « alors que le volume de données scientifiques sera cent fois plus important que celui que nous gérons actuellement. Nous passerons des téraoctets aux pétaoctets. » D’ici là, le système doit évoluer de la gestion de documents vers la gestion de (méta)données et établir une communication fluide entre les différents « silos » qui ne « communiquent » pas actuellement. Hans-Werner Bartels estime qu’il faudra plus de deux ans pour mener à bien cette refonte. Le système IDM continuera de fonctionner efficacement comme il le fait depuis vingt ans, mais « de manière intégrée », avec des capacités dopées par l’intelligence artificielle et une interface plus moderne et conviviale. « C’est incontournable si nous voulons maîtriser pleinement la machine. »

¹Les États-Unis ont interrompu leur collaboration avec ITER pendant cinq ans, de 1998 à 2003. La Chine et la Corée ont rejoint le programme en 2003, l’Inde en 2005.