Conférence de presse

La nouvelle feuille de route privilégie un démarrage « robuste » de l’exploitation

Le 3 juillet, lors d’une conférence de presse qui a réuni près de 200 journalistes et partenaires d’ITER, le directeur général Pietro Barabaschi a répondu à de nombreuses questions concernant la mise en œuvre de la « feuille de route » en cours d’évaluation par le Conseil ITER, organe exécutif d’ITER Organization. Les principaux messages étaient les suivants : les objectifs programmatiques d’ITER demeurent inchangés et la phase expérimentale initiale de la machine, bien que retardée, sera beaucoup plus conséquente que dans le planning précédent. 

La proposition de feuille de route présentée lors de la 34e réunion du Conseil ITER, au mois de juin, constituera une « référence de travail » pour ITER Organization pendant l’évaluation du plan par les Membres d’ITER. Le 3 juillet, le directeur général d’ITER Pietro Barabaschi a tenu une conférence de presse afin de présenter les détails de cette proposition.

La nouvelle feuille de route se substitue au planning qui servait de référence depuis 2016, mais qui était officiellement considéré, et depuis plusieurs années, comme n’étant « ni réaliste, ni réalisable ni optimal ». Les principales causes du retard accumulé—la pandémie de Covid-19 qui a affecté les fabrications et les inspections sur les lieux de production et désorganisé l’ensemble de la chaîne logistique ; la nécessité de réparer certains éléments essentiels de la machine— ont conduit à reconsidérer les séquences d’assemblage et d’exploitation d’ITER.

Le premier « jalon » du plan de 2016 prévoyait de produire un premier plasma dans des conditions d’énergie magnétique et d’intensité électrique faibles, lequel aurait été immédiatement suivi d’une phase d’installation des principaux éléments internes de la machine se déployant sur plusieurs années. Le retard accusé par le programme a ouvert la voie à une nouvelle possibilité : démarrer l’exploitation avec une machine plus proche d’être finalisée.

La nouvelle feuille de route a été conçue pour privilégier un démarrage efficace de l’exploitation scientifique. Pour sa phase opérationnelle initiale (Start of Research Operation, ou Démarrage de la phase d’expérimentation), la machine ITER sera équipée d’un divertor, de modules de couverture ainsi que d’autres éléments et systèmes essentiels. Cette configuration permettra de produire des plasmas d’hydrogène et de deutérium-deutérium et d’aller vers des décharges de longue durée sous une intensité du champ magnétique et avec un courant plasma maximaux.

« Plutôt qu’un premier plasma symbolique que je comparerais à un ‘test machine’ réalisé avec un réacteur relativement ‘nu’, explique le directeur général Pietro Barabaschi, nous entrons d’emblée dans une véritable phase de recherche conduisant à démontrer la faisabilité d’une mise en service intégrée, avec une intensité du champ magnétique et un courant plasma maximaux. Ce démarrage « robuste » et scientifiquement consistant nous permettra de rattraper une partie du retard accumulé mais également de limiter les risques techniques au cours de notre progression vers les objectifs du programme. »

La nouvelle feuille de route propose également d’allouer plus de temps à la mise en service intégrée, de tester certaines bobines magnétiques à 4 K (moins 269°C), de mettre en œuvre un système de chauffage supplémentaire, et d’installer un système de réduction des disruptions. Par ailleurs, le matériau de première paroi face au plasma, le béryllium, sera remplacé par du tungstène. « Aucun programme de fusion ne prévoit d’utiliser le béryllium pour son réacteur, explique le directeur général. Avec cette modification, notre approche gagne en pertinence pour les dispositifs de prochaine génération. »

Le nouveau plan prévoit d’atteindre l’intensité magnétique maximale en 2036, avec trois années de retard sur ce qui était anticipé par la feuille de route de 2016, tandis que le démarrage de la phase d’exploitation deutérium-tritium, en 2039, sera différée de quatre ans.

Le directeur général a tenu à souligner que les objectifs fondamentaux du programme demeuraient inchangés : démontrer qu’il est possible d’intégrer les systèmes nécessaires à l’exploitation industrielle de la fusion et obtenir un plasma en combustion générant 500 MW thermiques d’énergie de fusion pour 50 MW de puissance de chauffage injectée dans le plasma (Q≥10), ainsi que des décharges de 400 secondes, afin d’atteindre l’équilibre thermique (dans le plasma et les structures).

En termes de budget, le directeur général d’ITER a indiqué que ces nouveaux plans génèreront un coût supplémentaire de 5 milliards d’euros pour ITER Organization, un chiffre en cours d’examen par les membres d’ITER. Les coûts d’ITER ont toujours été difficiles à estimer avec précision car l’essentiel de la contribution des membres se fait « en nature », en fabricant les éléments de la machine et les systèmes de l’installation. Les gouvernements des pays membres ne sont pas tenus de communiquer le coût effectif de ces fabrications.

Consultez le document de synthèse fourni aux journalistes (en anglais) ici
 

Les réponses à quelques questions posées lors de la conférence de presse :

Le programme ITER est-il toujours pertinent dans le contexte de l’urgence climatique actuelle et face à l’émergence de start-up spécialisées dans la fusion ?

« La fusion ne peut pas être disponible à temps pour résoudre les problèmes actuels de notre planète et il est absolument nécessaire d’investir dans d’autres technologies, qu’elles soient connues ou encore inconnues, a expliqué Pietro Barabaschi. Mais je pense que, une fois sa faisabilité démontrée, la fusion modifiera le cours des choses. Et n’oublions pas que le réchauffement climatique n’est pas la seule problématique, nous avons aussi besoin d’énergie pour la vie sur terre. Pour commercialiser la fusion, il faudra proposer des idées nouvelles permettant de simplifier les choses et de réduire les coûts, mais également mobiliser des technologies développées en dehors d’ITER. Je suis tout à fait favorable aux idées nouvelles qui émergent un peu partout dans le monde. La fusion doit être considérée comme un moteur d’innovation et nous avons tous un rôle à jouer. »

ITER peut-il concurrencer les start-up qui annoncent des échéances beaucoup plus rapprochées pour le déploiement de la fusion ?

« Nous ne sommes pas en mesure de commenter les calendriers des autres programmes mais nous pouvons faire preuve de transparence concernant nos propres échéances. Nous nous sommes engagés à aider les autres programmes à atteindre leurs objectifs. La fusion est depuis longtemps un domaine scientifique dans lequel la coopération prévaut. Et je considère que nous devons partager avec le secteur privé les résultats que nous avons obtenus grâce aux fonds publics investis par nos partenaires. Au mois de mai, nous avons organisé sur notre site un atelier ITER-secteur privé sur la fusion. C’est un premier pas et nous nous attacherons à répondre aux besoins qui ont été exprimés à cette occasion. Nous nous félicitons aussi de la récente déclaration du G7 en faveur de la fusion, ainsi que du soutien que nous apporte l’Agence internationale de l’énergie atomique. »

La décision de changer le matériau de première paroi à ce stade présente-t-elle des risques ?

« Aucun matériau de première paroi ne va de soi. La recherche est absolument essentielle dans ce domaine et les nouvelles idées sont les bienvenues. Cela étant dit, les nombreux résultats accumulés de par le monde par les tokamaks équipés d’une première paroi en tungstène nous permettent de penser que nous pourrons atteindre l’objectif programmatique d’ITER : Q=10. »