Technologies du vide

À la recherche d'une aiguille infinitésimale dans une botte de foin

Une technique aux rayons X avancée confirme la présence de fissures microscopiques, ce qui permet à ITER de garder le cap.
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En collaboration avec l'équipe d'ingénierie mécanique et des matériaux du CERN, une fissure par corrosion sous contrainte ramifiée traversant toute l'épaisseur d'une tubulure de refroidissement de l'écran thermique a été localisée avec précision grâce à une technique de tomographie à rayons X.
Lorsque plusieurs fuites minuscules ont été découvertes dans une région de l'immense écran thermique d'ITER, les chefs de projet se sont trouvés confrontés à une question existentielle : s'agissait-il d'un défaut isolé facilement corrigeable en remplaçant un tronçon de tubulure ou d'un problème plus sérieux touchant les 20 kilomètres de tubulures de refroidissement de l'écran thermique ?

Si la question de départ semblait plutôt simple, il a fallu mettre en place une collaboration exceptionnelle avec le laboratoire de physique des particules du CERN pour y répondre. Les chercheurs ont fait appel à des technologies innovantes de tomographie à rayons X et de microscopie avancée pour mesurer des fissures si petites qu'elles n'avaient jamais été décelées auparavant.

« L'utilisation de ce type de tomographie à rayons X pour caractériser le trajet d'une fuite à si petite échelle était une première, explique Robert Pearce, le responsable du programme Installations à vide. Nous sommes parvenus à identifier des fissures de l'ordre du micron, qui auraient pu mettre la machine totalement hors service si nous les avions laissé se propager. »

La saga des fissures de l'écran thermique d'ITER est aujourd'hui bien connue. Au mois de juillet 2020, des tests d'étanchéité à l'hélium de routine ont mis en évidence une fuite de la taille d'un trou d'épingle dans une tubulure de refroidissement de l'écran thermique, au niveau du secteur 6 de la chambre à vide. Cette fuite était probablement due à un problème de soudure. À la suite de cette découverte, plus de 300 panneaux d'écran thermique ont été examinés et, en 2021, de nouveaux tests d'étanchéité à l'hélium ont décelé trois autres fuites, qui étaient toutefois beaucoup plus limitées. Selon toute vraisemblance, ces fuites seraient dues à une fissuration par corrosion sous contrainte provoquée par des chlorures piégés dans les tubulures pendant le procédé d'application de la couche d'argent. La corrosion de l'acier inoxydable est un phénomène rare, qui peut provoquer, par exemple, le ternissement des bijoux en inox trempés dans l'eau d'une piscine chlorée. Dans certains cas extrêmes, la fissuration par corrosion sous contrainte peut causer l'effondrement des toitures de piscine dont les poutres en inox ont été exposées au chlore de manière prolongée.

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L'équipe d'ITER prélève un tronçon de tubulure de refroidissement de l'écran thermique en vue de réaliser des essais.

Quelques fuites faciles à identifier, à atteindre et à réparer n'auraient pas constitué un problème particulièrement grave pour ITER. En effet, de petites fuites de vide apparaissent parfois dans les dispositifs de fusion et certaines ont déjà été localisées et réparées efficacement dans d'autres tokamaks comme le JET européen et le KSTAR coréen.

Cependant, le fait que ces fuites puissent être dues à une fissuration par corrosion sous contrainte était beaucoup plus préoccupant. Cette hypothèse, si elle se vérifiait, signifiait qu'une corrosion était probablement présente et en progression dans d'autres tronçons des tubulures de refroidissement de l'écran thermique, laissant augurer de plusieurs centaines ou milliers d'autres fuites dans les années à venir.

Il fallait donc impérativement rechercher la présence d'une fissuration par corrosion étendue susceptible de provoquer d'autres fuites dans les tubulures. Mais aucune des techniques existantes n'était capable de détecter des fissures aussi minuscules.

Pour résoudre ce problème, le groupe vide d'ITER s'est tourné vers l'équipe d'ingénierie mécanique et des matériaux du CERN (l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire). ITER a mis en place un accord de coopération avec le CERN en 2008 afin de bénéficier de l'expertise que cette organisation a développée dans le domaine de l'évaluation des matériaux et des aimants lors de la construction du grand collisionneur de hadrons (LHC).

Dans un premier temps, le matériau a été analysé au niveau des points où les tests d'étanchéité à l'hélium d'ITER avaient permis de localiser avec précision l'emplacement des fuites. Les techniques nécessaires n'étant pas disponibles sur place, des tronçons de tubulure ont été prélevés et envoyés au CERN, qui les a placés dans une machine de tomographie à rayons X où ils ont été scannés en rotation pendant environ six heures. De premières images tridimensionnelles du trajet de la fuite ont ainsi été obtenues. Ces images ont permis de définir l'emplacement très spécifique où seraient ensuite réalisés des scans locaux précis et un examen métallurgique plus complet. De fines tranches de tubulure ont été prélevées à l'emplacement où le trajet de la fuite avait été localisé, puis polies. Cette méthode a permis d'obtenir une résolution dix fois supérieure à celle des procédures existantes, si bien que la fuite et la fissuration due aux chlorures sont devenues parfaitement visibles. C'était la première fois qu'une équipe parvenait à caractériser le trajet d'une fuite de vide induite par la corrosion dans la plage de 10-6 à 10-7 pascals mètre cube par seconde. À titre de comparaison, il faudrait 30 ans pour remplir un ballon de baudruche avec une fuite d'hélium équivalente.

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Les nouvelles techniques aux rayons X développées par ITER et le CERN permettent de visualiser le trajet de cette fuite avec une incroyable précision.

« Le fait de pouvoir visualiser une fuite aussi minuscule nous laisse espérer que cette technique nous aidera à détecter les fissures avant qu'elles ne provoquent des fuites, souligne Robert Pearce. Sans ce nouveau procédé en 3D, nous n'aurions jamais su où couper la tubulure pour réaliser des analyses plus approfondies, ce qui serait revenu à chercher une aiguille dans une botte de foin. »

Une fois la technologie de visualisation de la fissure déterminée, la deuxième étape a pu commencer. Au cours de l'été 2022, plusieurs tronçons de la tubulure de 14 millimètres de diamètre et 2 millimètres d'épaisseur ont été prélevés dans certaines « régions d'intérêt » de l'écran thermique. Ces tronçons ont été choisis car ils présentaient des points de corrosion visibles. Ces échantillons ont ensuite été envoyés au CERN, où ils ont été découpés en tranches, polis puis analysés par tomographie aux rayons X. Les images ont clairement montré qu'une fissuration granulaire et transgranulaire était présente sous la surface et avait déjà progressé jusqu'au quart de l'épaisseur des tubulures.

« C'était tout à fait nouveau pour nous. En examinant la section transversale, nous avons pu observer une structure « en éclair » caractéristique, comme celles qui zèbrent le ciel pendant les orages d'été, ainsi que des traces des substances chimiques qui avaient provoqué son apparition, dit Stefano Sgobba, l'ingénieur responsable de l'équipe Matériaux du CERN qui a supervisé les essais. Ces outils avancés nous ont permis de comprendre beaucoup plus clairement le processus et la chronologie des événements. »

La fissuration par corrosion sous contrainte ayant été confirmée sur le premier tronçon de tubulure analysé avec cette combinaison de techniques, il était raisonnablement possible de conclure que l'ensemble du système de refroidissement du bouclier thermique était concerné par ce phénomène. Et, même si les fuites n'étaient pas généralisées, la fissuration par corrosion sous contrainte peut progresser de 0,1 mm à 10 mm par an en fonction des conditions. Au fil du temps, cette fissuration aurait pu provoquer des milliers de fuites et mettre le tokamak d'ITER hors service avant même qu'il ne commence à produire de l'énergie de fusion.

Les 20 kilomètres de tubulures de refroidissement de l'écran thermique déjà installés sur la machine ITER ont été déclarés inutilisables et une stratégie de réparation/remplacement de l'écran thermique de la chambre à vide a été définie. Une qualité d'acier inoxydable plus résistante a été choisie et la couche d'argent a été abandonnée sur les futures constructions soudées afin d'éviter toute présence de chlorures résiduels. Les recherches sur la fissuration par corrosion sous contrainte menées conjointement par ITER et le CERN ont été présentées au Symposium sur l'ingénierie de la fusion 2023 de l'IEEE (SOFE) ainsi qu'à la 28e Conférence internationale sur la technologie des aimants (MT-28). Le nouveau procédé de tomographie fera l'objet d'une publication universitaire. Tous ces travaux faciliteront l'élaboration des principes de construction des futurs dispositifs de fusion et le programme ITER, après avoir surmonté cet écueil majeur, poursuivra sur sa lancée.

« Des réparations sont nécessaires mais la situation évolue dans le bon sens, indique Robert Pearce. ITER n'est pas irréparable, nous avons enrichi notre base de connaissances et nous avons aujourd'hui atteint le stade des solutions. »