Stellarators : « Une option » pour les centrales de demain
Parfaitement bien. Pendant les deux premières phases d'exploitation du Wendelstein 7-X, nous avons obtenu d'excellents résultats, notamment en termes de stabilité et de contrôle. Après avoir conditionné la première paroi à l'aide de décharges luminescentes et d'une fine couche de carbure de bore, nous avons obtenu de fortes densités de plasma et des températures satisfaisantes, sachant que la puissance nécessaire pour chauffer le plasma n'était pas encore disponible aux niveaux prévus. L'un des temps forts a été la démonstration de la pleine fonctionnalité du « divertor à îlots » du Wendelstein 7-X, une première étape vers des plasmas de haute densité constants et stables, d'une durée continue de 30 secondes. Nous avons complété l'alimentation du plasma en injectant des glaçons de combustible, ce qui nous a permis d'atteindre un triple produit d'une valeur record, mais seulement de manière transitoire. Ces résultats sont cependant tout à fait remarquables. Nous avons également compris le rôle central de la turbulence du plasma, comme dans les tokamaks, car le transport néoclassique dans le Wendelstein 7-X a été réduit à un minimum grâce à l'optimisation du champ magnétique. Il reste donc une ombre au tableau : la turbulence du plasma limite la température ionique maximale pouvant être obtenue.
Quelles sont les prochaines étapes du programme scientifique Wendelstein 7-X ?
Au cours des phases de fonctionnement précédentes, nous avons constaté que, en raison de la turbulence du plasma, il n'est pas facile d'obtenir des températures ioniques élevées en chauffant les électrons avec des micro-ondes de forte puissance, ce qui constitue le principal mode de chauffage dans le Wendelstein 7-X. Dans les plasmas record mentionnés précédemment, nous sommes parvenus à réduire sensiblement la turbulence en accentuant fortement la pente du profil radial de densité, par exemple en injectant des glaçons, ce qui a fait augmenter considérablement la température des ions. Nous devons étudier ces mécanismes de manière beaucoup plus approfondie. Pour cela, un nouvel injecteur de glaçons a été installé en étroite collaboration avec deux laboratoires de fusion nord-américains, l'Oak Ridge National Laboratory et le Princeton Plasma Physics Laboratory, qui fournissent directement les principaux composants. Fait intéressant, il s'agit d'un prototype du même type que celui de l'injecteur de glaçons d'ITER.
Par ailleurs, le Wendelstein 7-X est désormais équipé d'éléments face au plasma entièrement refroidis par eau, ce qui ouvre la voie à des plasmas très performants, avec des puissances de chauffage de 10 MW et des décharges longues. Il faudra encore plusieurs étapes pour que les plasmas passent d'une durée de quelques secondes à 30 minutes à la pleine puissance de chauffage. Le divertor à îlots, qui doit assurer une extraction continue de chaleur et de particules grâce au refroidissement par eau sous pression et à un puissant pompage du vide, joue là encore un rôle décisif. Des stratégies existent pour cela, mais encore faut-il les adapter à des décharges de plasma de très longue durée.
Dans quelle mesure le retour d'expérience du Wendelstein 7-X pourra-t-il être utile à ITER, et inversement ?
Avec le Wendelstein 7-X, ITER a bénéficié d'apports technologiques considérables, par exemple les gyrotrons à longue durée d'impulsion pour le chauffage par micro-ondes des électrons du plasma. Le Wendelstein 7-X fonctionnant par nature en régime permanent, il a besoin d'un mode de chauffage souple et efficace à longue durée d'impulsion. Le partenariat à long terme mis en place avec le Karlsruhe Institute of Technology allemand nous a permis de développer, en étroite collaboration avec l'industrie, des gyrotrons de 1 MW avec une durée d'impulsion de 1 800 secondes. Ces gyrotrons sont devenus l'élément central des systèmes de chauffage du Wendelstein 7-X et servent de modèle pour ITER. Deuxième exemple : la technologie d'assemblage. L'équipe du Wendelstein 7-X souhaitait partager l'expérience acquise lors de l'assemblage du dispositif, tant en termes de solutions techniques de précision que d'organisation. Nous avons tissé des liens technologiques étroits avec ITER, en particulier au niveau opérationnel. En ce qui concerne l'avenir, les stellarators auront besoin de l'expérience d'ITER pour parvenir à exploiter un plasma dans un environnement nucléaire, mais aussi pour comprendre la physique des particules rapides des plasmas.
Les travaux visant à maîtriser l'énergie de fusion ont débuté il y a 70 ans, avec le stellarator en forme de huit de Lyman Spitzer. Quand les physiciens soviétiques ont commencé à développer des tokamaks et quand les performances de ces derniers ont été confirmées, à la fin des années 1960, la voie des stellarators a été pratiquement abandonnée. Que s'est-il passé ?
Les tokamaks se sont tout simplement révélés plus performants en termes de confinement magnétique du plasma, ce qui a incité de nombreux laboratoires de recherche sur la fusion, dans le monde entier, à se focaliser sur cette approche. Pendant longtemps, la nécessité d'obtenir des décharges de plasma continues n'a pas été considérée comme une priorité. Cependant, le concept de stellarator possède un atout majeur : le champ magnétique de la chambre à vide assure déjà un confinement du plasma et celui-ci n'a pas besoin d'être parcouru par un courant fort. Grâce à ces deux caractéristiques fondamentales, le stellarator peut fonctionner de manière plus stable, en régime permanent. Tout ceci a poussé un petit groupe international de scientifiques à chercher la raison pour laquelle les stellarators présentent de médiocres propriétés de confinement du plasma. Les premiers super-ordinateurs leur ont permis de résoudre le problème de physique et d'optimiser le champ magnétique des stellarators, avec les fameuses bobines de champ magnétique en huit du Wendelstein 7-X.
Pour les raisons mentionnées dans ma réponse précédente, le monde de la fusion est dominé par les tokamaks. Et le développement des stellarators a pris un peu de retard en raison de la structure plus complexe de leur champ magnétique, ce qui augmente considérablement le coût des simulations par ordinateur. En effet, en termes de physique comme d'ingénierie, le développement des dispositifs de fusion repose en grande partie sur les simulations informatiques,. Enfin, la conception d'un stellarator nécessite divers outils capables de gérer sa géométrie particulière. Ces outils ne sont disponibles que depuis peu. Peut-être bien que la conception plus simple des tokamaks est à première vue plus attractive, notamment pour les start-up.
Vous avez affirmé à plusieurs reprises que les stellarators constituaient une option pour un réacteur de fusion de démonstration (DEMO). Quelles seraient les étapes d'un tel projet ?
Le stellarator est sans aucun doute une option envisageable pour les futures centrales de fusion. Cependant, avant toute prise de décision, nous avons besoin d'acquérir plus de données et d'expérience, en particulier avec le Wendelstein 7-X, dont le programme de recherche commence tout juste. L'expérience opérationnelle d'ITER dans le domaine des plasmas en combustion et de la production de tritium sera également indispensable pour définir un concept pour la prochaine génération de dispositifs de fusion. Seul l'avenir nous dira dans quelle mesure la prochaine génération de stellarators se rapprochera de ce que nous entendons aujourd'hui par le concept de DEMO.