Alimentation électrique du système d'injection de neutres

Seule la foudre fait mieux

Au mois de janvier 2021, les travaux préparatoires à la construction de deux grands bâtiments destinés à des équipements électriques hors norme ont été lancés. Deux ans plus tard, les principales structures sont sorties de terre : des charpentes métalliques ancrées dans d'épaisses dalles de béton se dressent à 25 mètres de hauteur ; des murs épais délimitent des box qu'on croirait destinés à des chevaux géants et des passages souterrains, larges et profonds, assurent la liaison avec le Complexe tokamak voisin. Près de 40% des travaux de génie civil sont achevés et l'infrastructure d'alimentation électrique du système d'injection de neutres devrait être prête à recevoir ses équipements d'ici environ un an.
Près de 40% des travaux de génie civil de l'infrastructure d'alimentation du système d'injection de neutres sont achevés. Hans Decamps, l'ingénieur électricien responsable du projet (à gauche), discute avec Aleksei Fedotov, le responsable technique en charge de la contribution japonaise.
Le chauffage par injection de neutres est l'une des principales techniques de chauffage des plasmas. Il consiste à injecter des particules très énergétiques dans le plasma afin de le porter à la température requise pour que les réactions de fusion puissent se produire. « Résumé simplement, un injecteur de neutres est un accélérateur d'ions. La vitesse des particules, et donc l'énergie cinétique qu'elles peuvent transmettre au plasma, est proportionnelle à la tension utilisée pour les accélérer », explique Hans Decamps, l'ingénieur électricien responsable de l'alimentation électrique du système d'injection de neutres d'ITER.

Celui du JET européen, le plus gros tokamak en exploitation dans le monde, génère une tension électrique de l'ordre de 130 000 volts. Celui du JT-60SA euro-japonais atteindra 500 000 volts pendant quelques minutes. Dans le cas d'ITER, il faudra générer une tension d'un million de volts (1 MV) sur des durées de l'ordre de l'heure.

Hautes de 25 mètres, les charpentes métalliques des deux halls qui abriteront le système de chauffage par injection de neutres sont ancrées dans d'épaisses dalles de béton. Pour chaque injecteur de neutres, le bâtiment sera équipé d'un caisson métallique haute tension de 9 mètres de hauteur placé sur des supports isolés hauts de 6 mètres, ainsi que d'une traversée électrique de 16 mètres de hauteur pour le raccordement d'un transformateur géant.
Le maintien d'une tension aussi élevée pendant une durée aussi longue « repousse les limites de l'ingénierie électrique », souligne Hans Decamps. La conception de ce système a nécessité une décennie de recherche et de développement ainsi que la construction de maquettes grandeur nature dans un centre d'essai spécialisé.

Les injecteurs de neutres d'ITER ont deux fonctions : chauffer le plasma mais aussi le sonder afin de recueillir une grande variété d'informations telles que la présence d'impuretés (cendres d'hélium), la température des ions ou encore la densité et la vitesse des particules. S'ils sont fondés sur le même principe (l'injection de particules neutralisées dans le plasma), les deux systèmes diffèrent par la puissance délivrée : 1 million de volts (MV) pour les injecteurs de neutres destinés au chauffage et dix fois moins (100 KeV) pour l'injecteur de neutres du système de diagnostics. ITER sera équipé de trois injecteurs de neutres : deux pour le chauffage du plasma et un troisième pour les diagnostics. La machine et le bâtiment qui l'abrite ont été conçus pour accueillir un troisième injecteur destiné au chauffage, si le programme scientifique d'ITER en manifestait le besoin.

Le niveau de tension requis pour les injecteurs de neutres d'ITER a également déterminé les caractéristiques inhabituelles du Bâtiment haute tension, la plus vaste des deux structures en cours de construction, qui est subdivisée en trois halls de taille égale. Les deux premiers halls sont destinés aux injecteurs de neutres pour le chauffage du plasma et le troisième à l'injecteur de neutres du système de diagnostics (voir encadré).

Les deux halls qui accueilleront le système de chauffage par injection de neutres seront quasiment vides, à l'exception de deux éléments verticaux singuliers : un caisson métallique haute tension de 9 mètres de hauteur placé sur des supports hauts de 6 mètres, isolés du sol, ainsi qu'une traversée électrique de 16 mètres de hauteur pour le raccordement d'un transformateur géant dont le corps principal se trouve à l'extérieur du bâtiment. La nature de ces équipements hors norme a imposé des contraintes très strictes pour la conception intérieure du bâtiment. Pour prévenir la formation d'arcs électriques, les éléments situés à l'intérieur des halls ne doivent présenter aucun angle vif ou structure saillante et, pour des raisons de sécurité, chaque caisson est entouré d'une « zone d'exclusion » de cinq mètres de rayon. Inutile de préciser que personne ne pourra pénétrer dans le bâtiment pendant l'exploitation.

L'Europe et le Japon sont chargés de fournir l'infrastructure nécessaire à l'alimentation électrique du système d'injection de neutres.
Les poutres jaune vif des deux ponts roulants sont déjà en place à l'intérieur de la structure en acier récemment construite. Ces ponts roulants, d'une capacité de levage de 10 tonnes chacun, se déplaceront sur toute la longueur des halls haute tension.

Moins spectaculaire mais non moins stratégique, le bâtiment d'alimentation électrique du système d'injection de neutres recevra les équipements (transformateurs « secs », convertisseurs de puissance, redresseurs, onduleurs et autres dispositifs spéciaux) connectés aux caissons métalliques haute tension par l'intermédiaire de dix transformateurs élévateurs installés entre les bâtiments. Comme de nombreux éléments de l'installation ITER, le système d'injection de neutres fonctionne avec du courant continu. Mais contrairement aux aimants, par exemple, qui utilisent un courant de forte intensité et une basse tension, le système d'injection de neutres nécessite un courant de basse intensité et une très haute tension.

Cette différence ne réduit pas la taille des équipements pour autant. Fournis par le Japon, les dix générateurs de courant continu de 200 kV (constitués d'un transformateur élévateur connecté à un redresseur à diodes pour obtenir 200 kV DC en sortie), chacun installé dans son box isolé par des murs coupe-feu, sont aussi massifs que les transformateurs géants du réseau pulsé de la sous-station électrique d'ITER. Là aussi, le dimensionnement est déterminé par les impératifs d'isolation, en particulier par la quantité d'huile présente dans chaque transformateur (jusqu'à 75 000 litres). Trois transformateurs de plus petite taille seront affectés au système d'injection de neutres du système de diagnostics.

Seules les forces brutes de la nature sont capables de produire des tensions plus élevées que celles de l'installation d'alimentation électrique du système d'injection de neutres d'ITER. Mais les impacts de foudre ne durent que quelques millisecondes, alors que la formidable installation d'ITER est conçue pour alimenter les injecteurs en continu lors de décharges de plasma qui pourront durer une heure. Il n'existe aucune installation équivalente dans le monde.