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« 85% des travaux de construction nécessaires pour le premier plasma sont terminés »

Laurent Schmieder, qui dirige le programme Bâtiments, Infrastructure et Alimentations électriques de l'agence domestique européenne, est responsable de la construction de l'installation scientifique ITER depuis 2009. Implantée il y a 13 ans sur un vaste terrain inoccupé, la plateforme ITER est aujourd'hui sortie de terre et il y règne une activité intense. 85% des infrastructures requises pour le premier plasma sont en place. Newsline a rencontré Laurent Schmieder et son adjoint Romaric Darbour en avril, alors que l'une des voies de circulation définitives venait d'être achevée.
Depuis le toit du Bâtiment diagnostics, la vue est imprenable sur le chantier des futurs bâtiments d'alimentation électrique du système d'injection de neutres, qui sont en cours de construction par les sous-traitants de Fusion for Energy.
Pouvez-vous nous rappeler le rôle de l'agence domestique européenne Fusion for Energy dans la construction d'ITER ?

Dans le cadre des engagements pris pour le projet, l'Europe assure la construction de la quasi-totalité des bâtiments de la plateforme et des infrastructures du site, à savoir 39 bâtiments et zones techniques. Elle est chargée des travaux de génie civil des bâtiments, des travaux d'infrastructure du site (évacuation des eaux et galeries techniques), de la gestion de matériels tels que les grues, de la distribution électrique et des travaux d'adaptation du site, notamment les voies de circulation, la signalétique et l'éclairage. Le Complexe tokamak (qui regroupe les Bâtiments tokamak, diagnostics et tritium sur des fondations communes) est le projet à plus long terme à ce jour. Quatre années ont été nécessaires pour préparer les fondations de cette structure de 430 000 tonnes, qui est sortie de terre depuis.

La construction de l'installation scientifique ITER s'est poursuivie ces deux dernières années, malgré la crise du COVID-19. Rétrospectivement, quels ont été les principaux défis de cette période et comment la pandémie a-t-elle affecté la construction d'ITER ?

Laurent Schmieder dirige le programme Bâtiments, Infrastructure et Alimentations électriques de Fusion for Energy.
Je dirais que le plus gros défi a été d'apprendre à travailler avec de nouvelles contraintes sanitaires. Sur un chantier comme ITER, le niveau de sécurité est déjà élevé et le respect des règles de sécurité fait partie du quotidien des équipes. Mais la pandémie a imposé toute sorte de nouvelles contraintes. Il n'a pas été facile d'évaluer les conséquences du nouvel environnement de travail sur la productivité, ainsi que sur la santé mentale du personnel. Le télétravail a encore compliqué les choses. Nous avons constaté que la coordination à distance n'était pas possible et les responsables techniques se sont rendus sur le site aussi souvent que possible pour suivre la progression des travaux et tenir des réunions en présentiel, dans le respect des règles de distanciation, bien évidemment. Malgré les complications liées au COVID-19, et grâce aux mesures prises par le directeur général d'ITER pour protéger les équipes tout en permettant aux travaux de se poursuivre, nous pouvons dire que nous sommes parvenus à maintenir l'activité du chantier et à tenir nos principales échéances.

Les fondations du Complexe tokamak d'ITER ont été réalisées entre 2010 et 2014. Depuis, la structure est sortie de terre. Où en est aujourd'hui le Complexe tokamak et quand sera-t-il terminé ?

Le gros œuvre des Bâtiments tokamak et diagnostics est totalement terminé et le second œuvre est en voie d'achèvement. Les travaux de peinture sont finis à tous les étages et nous sommes en phase de retouche. Les portes sont installées et seuls quelques ajustements restent à effectuer. D'autres petits travaux de finition, tels que l'installation des plateformes métalliques, des plinthes en béton et des faux planchers, sont encore prévus, mais tout sera terminé d'ici l'été 2022. Il faut souligner que la construction du Bâtiment tritium, qui était à l'arrêt depuis 2017 afin de focaliser les travaux sur le Bâtiment tokamak, a repris en 2021. Nous espérons le terminer d'ici la mi-2024.

Les travaux de construction sont réalisés par lots. Pouvez-vous nous dire combien de lots de travaux sont terminés et combien sont en cours ou doivent encore être attribués ? En termes de pourcentage, quel est le degré d'avancement des travaux de construction des bâtiments et de l'infrastructure nécessaires pour le premier plasma ?


Neuf des 17 lots de travaux sont achevés et les huit autres sont en cours. 85% des travaux de construction nécessaires pour produire le premier plasma sont aujourd'hui terminés. Entamé début 2016, le contrat TB16, qui concerne les infrastructures du site (tranchées techniques, évacuation des eaux pluviales et travaux d'adaptation du site, notamment la voirie et l'éclairage), touche à sa fin. L'équipe a récemment franchi un nouveau cap avec l'achèvement de la voie de circulation définitive de la plateforme (voir la photo ci-dessous).

Depuis le début du chantier, l'équipe F4E bénéficie de l'aide du bureau d'études ENGAGE et de l'APAVE, l'entreprise responsable de la sécurité sur le site. Comment fonctionne cette collaboration et comment parvenez-vous à maintenir une bonne cohésion entre les différents éléments de l'équipe ?

Romaric Darbour, chef de projet adjoint du programme Bâtiments, Infrastructure et Alimentations électriques.
Nous avons appris à travailler ensemble, en nous adaptant progressivement aux différences culturelles, dont nous avons tiré parti pour renforcer l'efficacité de notre équipe. Cette cohésion nous aide à faire face aux difficultés et aux périodes de crise, par exemple lorsqu'on nous demande des justificatifs supplémentaires avant le début d'un projet, pour gérer une complication ou un coût imprévus ou encore pour faire face à des situations imprévisibles comme la pandémie ou l'instabilité géopolitique, qui pèsent sur la disponibilité des matières premières. Tout ceci a renforcé l'esprit d'équipe et notre volonté d'être à la hauteur. ITER est une grande famille et, tous ensemble, nous faisons avancer le projet et nous nous soutenons mutuellement. Nous travaillons aussi en étroite liaison avec nos collègues chargés de la construction d'ITER au travers de l'équipe du programme Bâtiments, Infrastructure et Alimentations électriques (Buildings Infrastructure and Power Supplies, BIPS).

Une bonne partie de l'infrastructure d'ITER n'est pas visible à l'œil nu, notamment les galeries techniques, les réseaux de distribution et les tunnels d'évacuation des eaux. Que pouvez-vous nous dire de ce « monde souterrain » qui est tout à fait essentiel au bon fonctionnement d'ITER ?

ITER est un peu comme un aéroport : la partie visible ne représente qu'une petite fraction des installations. Les réseaux souterrains sont gigantesques, avec plus de cinq kilomètres de galeries reliant entre eux les différents bâtiments ainsi que des centaines de kilomètres de réseaux de distribution d'électricité, d'eau et d'autres fluides. Ce fut un vrai défi de gérer la construction de toutes ces installations souterraines alors que d'autres sous-traitants bâtissaient simultanément d'énormes structures en surface. Notre capacité d'anticipation, ainsi que la coordination entre nos équipes et les sous-traitants, ont joué un rôle essentiel dans la réussite du projet.

Située à l'est du Complexe tokamak, cette voie de circulation est l'une des dernières réalisations du contrat TB16 de Fusion for Energy, qui portait sur les tranchées techniques, l'évacuation des eaux pluviales et les travaux d'adaptation du site, notamment la voirie et l'éclairage.
Pourriez-vous nous dire combien de personnes ont contribué à la construction d'ITER depuis 2010 ?

Nous estimons que plus de 15 000 personnes ont contribué à la construction du site ITER. Près de 5 000 entreprises venues d'une dizaine de pays européens sont intervenues. À ce jour, nous n'avons déploré aucun accident grave et aucun blessé grave n'a été signalé sur le chantier. Les statistiques relatives au chantier (taux de fréquence des accidents du travail) sont quatre fois meilleures que les chiffres français, ce qui est une vraie réussite, même s'il est essentiel de s'améliorer en permanence dans le domaine de la sécurité. Nous nous efforçons de repérer les « quasi-accidents » afin d'améliorer nos procédures, d'en tirer des leçons et de renforcer notre niveau de sécurité.

Comment la présence du personnel et des sous-traitants de Fusion for Energy a-t-elle évolué au cours des 13 années de construction ? Combien de personnes compte l'équipe de Fusion for Energy qui gère les activités restantes et quelles sont vos prévisions pour les années à venir ?

Les activités de Fusion for Energy ont évolué au fil du temps et, alors que 85% des infrastructures requises pour le premier plasma sont terminées, nous n'en sommes qu'à 60% de l'ensemble des travaux. L'équipe BIPS reste stable (environ 80 personnes, dont la moitié relève de Fusion for Energy et l'autre moitié d'ITER Organization). Elle sera mobilisée au même niveau pour relever les défis à venir. Nous devons encore terminer les travaux de génie civil du Bâtiment tritium (avec trois niveaux supplémentaires à construire), finaliser un ensemble de bâtiments nécessaires pour sécuriser la distribution électrique et achever le Bâtiment de contrôle d'ITER, les réseaux de distribution dans les bâtiments auxiliaires ainsi que les passerelles techniques qui amèneront l'électricité et les fluides cryogéniques dans le Complexe tokamak. Autre prouesse à venir, la cellule chaude d'ITER, dont le volume et le niveau de complexité sont comparables à ceux du Complexe tokamak. Bien que nous soyons déjà à mi-chemin de ce long parcours, il nous faudra relever des défis encore plus immenses !