Système magnétique

Des bobines de champ toroïdal seront testées à 4 K

Les aimants supraconducteurs d'ITER fonctionneront à 4 K (moins 269 degrés Celsius, une température légèrement supérieure au zéro absolu) et seront traversés par des courants électriques extrêmement forts, pouvant atteindre 68 kA. Comment ces éléments uniques en leur genre se comporteront-ils dans des conditions aussi extrêmes ? Tester les aimants à 80 K (moins 194 degrés Celsius) permet de répondre en partie à cette question. Ces essais ne sont pas excessivement complexes ou coûteux et reproduisent 90% des contraintes thermiques et mécaniques auxquelles sera exposée une bobine pendant sa durée de vie. Cependant, la supraconductivité ne peut être établie que si les aimants sont refroidis à 4 K, si bien qu'un essai à 80 K n'apporte aucune indication quant au comportement électrique d'une bobine en conditions d'exploitation. Alors que ce type d'essai n'était pas prévu initialement, des conditions favorables sont aujourd'hui réunies pour tester certaines bobines d'ITER à 4 K.
L'installation d'essai cryogénique sera implantée dans l'installation de bobinage des aimants de champ poloïdal, qui est en partie vacante maintenant. L'hélium supercritique à 4 K proviendra d'une boîte froide auxiliaire cryogénique (en bleu) raccordée à l'usine cryogénique. L'alimentation électrique sera assurée par un jeu de barres (en orange) relié à un système d'alimentation électrique dédié. Les fluides cryogéniques et le courant électrique seront délivrés à l'aimant par un système de distribution (en jaune). La bobine se trouvera en position horizontale, si bien qu'il faudra revoir la conception du raccord au système de distribution.
« Les essais à 4 K et à 80 K sont deux opérations totalement différentes, explique David Grillot, directeur adjoint du programme ITER en charge des systèmes de l'installation et ancien responsable du département Système cryogénique. Sachant qu'une bobine de champ toroïdal pèse plus de 300 tonnes, le test le plus froid exige une infrastructure considérable : un gros cryostat, une alimentation électrique dédiée, un système électrique de distribution et l'instrumentation associée ainsi qu'une interface avec le gros réfrigérateur situé à l'intérieur de l'usine cryogénique. C'est tout à fait différent des essais à 80 K, qui sont relativement simples et que nous réalisons de manière routinière. »

Les six bobines de champ poloïdal annulaires d'ITER ainsi que 14 des 19 bobines de champ toroïdal en D seront testées à la température plus clémente de 80 K avant d'être installées dans la machine ITER. Quant aux essais à 4 K, ils n'ont à ce jour été réalisés que pour les modules de solénoïde central livrés par les États-Unis « ITER USA a demandé que chaque module de solénoïde central soit soumis à un essai de réception en usine à pleine puissance à une température de 4 K avant d'être acheminé vers ITER, indique Neil Mitchell, expert historique d'ITER dans le domaine des aimants. C'est parfaitement justifié car les conditions d'un essai à 4 K sont très proches du point de fonctionnement des modules dans la machine ITER. »

Pour des raisons de taille, de forme et de nature du conducteur, et du fait de la manière dont chaque aimant (modules du solénoïde central ou bobines de champ toroïdal individuelles) contribue au champ total généré par le système de bobines (6 modules empilés dans le premier cas, 18 bobines disposées autour de la chambre à vide dans le deuxième cas), un essai à 4 K ne reproduit pas véritablement les conditions réelles dans lesquelles se trouvera une bobine de champ toroïdal pendant la phase opérationnelle de la machine.

Il présente toutefois un intérêt majeur : il permet de tester les joints stratégiques qui relient les sept doubles galettes dont est constituée la bobine de champ toroïdal. « Ces joints sont réalisés à la main et, malgré toutes nos précautions, des écarts sont toujours possibles. »

Une équipe dédiée a été mise en place pour relever un défi technique et organisationnel majeur : créer l'infrastructure d'essai cryogénique en moins de deux ans.
En raison des équipements, des procédés et des procédures nécessaires, un essai à 4 K équivaut à une « mise en service partielle, mais grandeur nature, du système magnétique du tokamak, souligne David Grillot. Un essai à 4 K est une entreprise beaucoup plus complexe qu'un simple essai de bobine, dont l'objectif est de valider les éléments principaux (système d'alimentation électrique, installation cryogénique, systèmes de distribution, système de contrôle-commande, etc.). Tout en minimisant les risques, cette mise en service partielle jouera le rôle de répétition générale et nous permettra de gagner énormément de temps. »

Les essais à 4 K font depuis longtemps l'objet d'un débat interne chez ITER. Cela fait des années que les experts et la direction confrontent leurs analyses et discutent des avantages et des inconvénients. Confiants dans le processus de fabrication, et compte tenu de diverses autres considérations, ils avaient décidé de ne pas réaliser ces essais.

Conçu pour recevoir les bobines de champ toroïdal en « D » du tokamak, le cryostat de l'installation d'essai cryogénique permettra aussi, de par ses dimensions (11 m x 22 m), de tester la bobine de champ poloïdal n°1 (PF1), qui mesure 10 mètres de diamètre.
Mais la situation a évolué et une occasion se présente aujourd'hui. Les difficultés rencontrées avec les secteurs de la chambre à vide et les tubulures de l'écran thermique, ainsi que les réparations qu'elles impliquent, ont donné un coup d'arrêt à la séquence d'assemblage. Les bobines de champ toroïdal resteront donc accessibles pendant les deux à trois prochaines années, ce qui permettra de construire une installation d'essai cryogénique et de tester « autant de bobines que possible ».

« Nous ne partons pas de zéro car les bobines des dispositifs JT60-SA et W7-X ont déjà été testées à 4 K, mais la taille des bobines d'ITER, et donc le dimensionnement de l'installation, soulèvent des défis considérables. Par ailleurs, nous devons finaliser l'installation dans un délai de deux ans, alors qu'il faudrait normalement deux fois plus de temps », précise David Grillot.

Mais les choses avancent rapidement. Le projet est actuellement en phase de conception préliminaire et les principaux contrats sont en cours de signature. Après un examen de conception final prévu en avril prochain, la phase d'assemblage de l'installation pourrait débuter dans les premiers mois de 2025 et celle-ci pourrait entrer en service avant la fin de cette même année.

« Sachant que, d'ici là, un ou deux modules de secteur seront déjà installés dans le puits d'assemblage et qu'un essai cryogénique complet à 4 K nécessite 4 à 6 mois, nous prévoyons de tester au moins une bobine de chaque fabricant (Mitsubishi et Toshiba au Japon, ASG-SIMIC en Europe) », dit David Grillot.

L'installation et son cryostat de 350 tonnes (11 m x 22 m, la charge la plus large et la plus longue acheminée sur l'itinéraire ITER) seront placés dans la partie est, actuellement vacante, de l'installation de bobinage utilisée par l'agence domestique européenne pour fabriquer les quatre plus grosses bobines de champ poloïdal, qui est toujours équipée de puissants systèmes de levage. La construction d'une installation d'essai cryogénique pour les bobines de champ toroïdal présente un avantage collatéral : les dimensions du cryostat de l'installation permettront de tester à 4 K la bobine PF1 fournie par la Russie, qui est la plus petite des six bobines de champ poloïdal du tokamak.