Là où personne n'est jamais allé
Entreprise dès les lendemains de la Deuxième guerre mondiale, la recherche sur la fusion de l'hydrogène a connu de grands moments d'optimisme et de nombreux épisodes de déconvenue. L'objectif que l'on a cru atteindre s'est souvent dérobé mais la détermination des chercheurs n'a jamais vacillé. Au fil des six décennies écoulées, trois générations de physiciens et d'ingénieurs ont été portées par cette ambition prométhéenne : reproduire les réactions nucléaires à l'œuvre au cœur du Soleil et des étoiles et y puiser une source d'énergie virtuellement intarissable.
Depuis quelques années, la quête de l'énergie de fusion est entrée dans une phase décisive. Les physiciens comprennent chaque jour un peu mieux le comportement des plasmas — le milieu extrêmement chaud au sein duquel se produisent les réactions de fusion — et les ingénieurs ont su construire des machines de plus en plus puissantes et performantes. Les pouvoirs publics, longtemps les seuls financeurs de la recherche, ont pris la mesure des enjeux : la fusion de l'hydrogène, dont l'impact sur l'environnement est particulièrement faible, est désormais reconnue comme un atout majeur dans la lutte contre le changement climatique.
À cette prise de conscience publique s'ajoute depuis peu l'intérêt manifesté par les investisseurs privés. Dans le monde anglo-saxon, mais également en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Israël ou en Chine, des dizaines de start-ups ont été créées, proposant des approches nouvelles ou reprenant des pistes délaissées. On estime que ces « jeunes pousses » ont bénéficié à ce jour de plus de 4,8 milliards d'euros d'investissement, dont 2,8 pour la seule année 2021.
Dans ce paysage renouvelé, foisonnant, dynamique, la place d'ITER est unique. Le Tokamak ITER est la seule machine au monde dont la taille et les équipements vont permette « d'explorer des territoires qui ne l'ont jamais été jusqu'ici », comme le dit Tim Luce, le responsable scientifique d'ITER. Son collègue Alberto Loarte, lui aussi physicien de renom, explique : « Ce qui nous allons faire avec ITER, et qui n'a jamais été réalisé nulle part, c'est démontrer que la température d'un plasma peut être 'auto-entretenue' par les réactions de fusion.» Deux machines, le TFTR américain aujourd'hui démantelé et le JET européen, toujours opérationnel au Royaume-Uni, ont démontré dès les années 1990 qu'il était possible de produire de l'énergie à partir des réactions de fusion. Cependant, pour atteindre les conditions de température auxquelles les réactions de fusion se produisent, il avait fallu dans les deux cas injecter dans le plasma plus d'énergie que celui-ci n'en avait restitué.
La machine ITER a été conçue pour amplifier d'un facteur 10 l'énergie que les systèmes de chauffage externe apporteront au plasma : 50 MW en « entrée » ; 500 MW en « sortie ».
ITER toutefois, est une expérience scientifique très particulière. « Dans la plupart des grandes installations de recherche, explique Tim Luce, on sait comment les équipements fonctionnent et on les utilise à des fins d'observation. ITER est totalement différent : ITER crée l'objet scientifique qu'il va observer. »
Alberto Loarte ajoute : « Nous sommes confiants. Nous allons générer des réactions de fusion qui produiront des centaines de mégawatts de puissance. Mais nous ne savons pas exactement comment le plasma auto-entretenu se comportera parce que cet état de la matière n'a jamais été observé jusqu'ici. »
C'est là tout l'enjeu d'ITER et l'objectif que se sont assignés les 35 pays qui participent au programme : recréer un milieu qui n'existe qu'au cœur des étoiles, l'explorer et le comprendre, et ouvrir ainsi la voie à l'exploitation d'une source d'énergie nouvelle « pour le bénéfice de l'ensemble de l'humanité »¹.
¹Selon les termes mêmes de la déclaration commune Reagan-Gorbatchev, à l'issue du Sommet de Genève du mois de novembre 1985, acte de naissance du programme de recherche international ITER.