Une cassette dans la fournaise

22 sep, 2017

La pièce d'acier, massive et tourmentée, n'évoque rien de familier. Est-elle tombée d'un vaisseau spatial en détresse ? Appartient-elle à une machine venue du futur au travers d'une faille de l'espace-temps ? Sa forme étrange évoque la proue d'un drakkar, le berceau d'un géant ... de quelle intelligence, de quel savoir-faire technologique est-elle le produit ?

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Dans le vaste atelier de CNIM, à La Seyne-sur-Mer (83), le prototype d'une pièce d'acier massive et tourmentée prend forme. Cette « cassette », destinée au divertor d'ITER, baignera dans un environnement infernal, beaucoup plus chaud qu'à la surface du Soleil.
Pour qui connaît l'architecture d'un tokamak, la réponse va de soi : cette pièce fait partie du « divertor », l'élément qui recouvre la partie basse du tokamak et qui est le plus directement exposé au feu du plasma.

Dans un tokamak, tout est extrême—le vide, le chaud, le froid, les forces électromagnétiques... Et c'est dans la région du divertor que ces conditions atteignent leur paroxysme—la pièce baigne dans un environnement infernal où il fait beaucoup plus « chaud » qu'à la surface du Soleil.

Un tel contexte explique pourquoi une cassette de divertor ne ressemble à rien de connu : c'est un objet qui va devoir non seulement résister à la température et au rayonnement d'une étoile, mais également supporter sans dommage les monstrueuses forces mécaniques qu'un tokamak peut générer¹.

La cassette—et il y en aura 54, arrangées en cercle dans la partie basse du tokamak—porte les différents boucliers (on les appelle des « cibles ») directement exposés au feu du plasma².

Ensemble, cassettes et cibles forment le divertor, dont la fonction consiste à infléchir le champ magnétique de manière à extraire les « cendres » d'hélium et les impuretés du plasma, tout en évacuant la chaleur et en protégeant les éléments de la machine des charges thermiques et neutroniques générées par la réaction de fusion.

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Depuis que la fabrication a été lancée il y a huit mois, 25 tonnes d'acier spécial ont été patiemment transformées en en une pièce de 4 tonnes aux formes complexes et élancées.
La fourniture des cassettes est de la responsabilité de l'Europe. Un industriel italien, Walter Tosto, et un consortium franco-italien (CNIM et Simic) ont été chargés d'en produire chacun un prototype.

Les trois industriels sont déjà fortement engagés dans le programme ITER : Walter Tosto pour la fabrication des éléments de la chambre à vide ; CNIM pour les bobines annulaires et, en collaboration avec Simic, pour la fourniture des « plaques radiales » des bobines verticales.

Nous nous sommes rendus, récemment, dans les ateliers de CNIM, à La Seyne-sur-Mer (83) où le prototype du consortium franco-italien est en cours de finalisation.

Au sein du consortium, CNIM et Simic se sont réparti les tâches pour transformer progressivement un bloc d'acier de 25 tonnes en un élément de haute technologie n'en pesant plus que quatre : les « segments primaires » ont été usinés et soudés (par faisceau d'électrons) par CNIM, envoyés à Simic pour soudage additionnel (tungstène - gaz inerte) et contrôles non destructifs, puis renvoyés en France pour l'usinage final, les ultimes vérifications et les tests fonctionnels.

Dans le vaste atelier de CNIM, une machine-outil à commande numérique s'affaire sur la pièce avec un mélange de puissance et de délicatesse. Fraction de millimètre après fraction de millimètre, sa fraise en affine les formes dans un grand éclaboussement de lubrifiant et de copeaux d'acier.

Les tolérances sont extrêmement rigoureuses—l'opération est si précise, si patiente, qu'il ne faut pas moins d'une semaine pour ôter un millimètre d'acier.

A quelque 1 000 kilomètres de là, des opérations similaires sont en cours dans les ateliers de Walter Tosto à Chieti en Italie—le cahier des charges est le même, mais chacun applique ses propres méthodes, « recettes » et procédures.

Une fois ces prototypes finalisés, testés et analysés, l'agence domestique européenne choisira celui des deux sous-traitants qui réalisera la série—54 cassettes, plus 4 à 6 « rechanges ».

L'industrie européenne aura alors produit un composant sans équivalent dans l'histoire des sciences et des technologies.

(1) Les cassettes sont conçues pour résister à des forces de l'ordre de 100 tonnes, qui peuvent être générées pendant quelques millisecondes en cas de « disruption » du plasma.

(2) Les « cibles » qui font directement face au plasma sont fournies par l'Europe, le Japon et la Russie.