Jean-Louis Etienne: l'énergie sans parti-pris

31 aoû, 2016
En 1986, Jean-Louis Etienne partit à pied, seul, pour le pôle Nord — depuis l'île Ward Hunt à l'extrême nord du Canada, 63 jours de marche sur l'océan arctique gelé. Médecin, alpiniste, navigateur, il a souvent dit que marcher vers le Pôle « ne demande pas de compétence particulière » mais de l'endurance, de la détermination, une force mentale quasi surhumaine. L'expérience a décidé de sa vie : seul ou dans le cadre d'expéditions internationales, il explorera les pôles, les parcourra en tous sens, en traineau à chiens, en goélette dérivant dans les glaces, en ballon, en dirigeable. Explorateur, l'homme est également un scientifique qui s'interroge sur la fragilité de la planète — la problématique de l'énergie est au cœur de sa réflexion. Refusant d'être prisonnier des dogmes et des « postures », Jean-Louis Etienne considère que « le nucléaire est l'énergie de l'intelligence » et s'est prononcé, à plusieurs reprises, en faveur d'ITER.
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Médecin, alpiniste, équipier d'Éric Tabarly sur le Pen Duick VI, Jean-Louis Etienne est le premier, en 1986, à atteindre le pôle Nord en solitaire. En Arctique comme en Antarctique, à pied, en chien de traineau ou en ballon, la problématique de l'énergie a toujours été au coeur de sa réflexion. © Francis Latreille
Quelle place occupe la gestion de l'énergie quand on marche tout seul vers le Pôle ?

Au pôle Nord en 1986, j'avais deux sources d'énergie : le white gaz pour le réchaud, une essence très pure, sans graisse, qui ne gèle pas, et des batteries lithium-ion pour la radio HF et la balise Argos. Ces deux sources étaient vitales et l'économie d'énergie était une obsession. En situation extrême, on est sensibilisé au caractère précieux de l'énergie. C'est cette expérience qui vous a conduit à vous préoccuper, de manière plus globale, des problématiques énergétiques ? Pour chaque expédition, la production et la consommation d'énergie est une préoccupation constante. La réflexion sur l'optimisation des ressources locales m'a conduit à me pencher sur les potentiels et les limites des énergies renouvelables, notamment le stockage de l'électricité.

 

C'est cette expérience qui vous a conduit à vous préoccuper, de manière plus globale, des problématiques énergétiques ?

Pour chaque expédition, la production et la consommation d'énergie sont une préoccupation constante. La réflexion sur l'optimisation des ressources locales m'a conduit à me pencher sur les potentiels et les limites des énergies renouvelables, notamment le stockage de l'électricité.

Votre résidence principale (Interview Figaro 13/05/2008) « fonctionne à partir du solaire ». Est-ce que vous couvrez tous vos besoins domestiques de cette manière ? Pensez-vous que cette solution puisse être généralisée ?

J'ai effectivement 80 panneaux photovoltaïques sur le toit mais je ne suis pas auto-producteur. Je vends à EDF. Je pense que le mix d'énergies renouvelables, toutes sources cumulées, pourront dans le futur couvrir les besoins domestiques de personnes bien au fait de la gestion de l'énergie, qui auront un habitat très bien isolé et fqui auront fait le choix d'équipements à faible consommation. Mais c'est loin d'être insuffisants pour les gros appels d'énergie (industrie lourde, transports lourds, cimenteries...).

A l'échelle de la planète, l'Agence internationale de l'énergie prévoit une augmentation de la demande mondiale d'électricité de l'ordre de 80% d'ici 2040. Avez-vous le sentiment que les décideurs politiques ont pris la mesure de ce défi ?

Si l'on additionne les besoins croissants des voitures électriques, ceux des vastes mégapoles où sera concentrée 75% de la population mondiale, ceux de la consommation des data centers, des téléphones portables, tablettes, objets connectés etc... il est évident que la consommation électrique va exploser. Je pense que les décideurs politiques, qui sont entourés de spécialistes, sont bien informés. Mais la facilité d'accès aux énergies fossiles, notamment au charbon bon marché, n'incite pas à s'engager sur d'autres ressources, à l'exception des énergies renouvelables qui sont imposées par les engagements politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre et par les attentes de la population.

Le nucléaire, sous ses différentes formes, occupera une place importance dans le « mix énergétique » des décennies qui viennent. Certains, dans les milieux « verts » et « écologistes » se sont étonnés de votre approche du nucléaire... Vous avez dit un jour : « Si le pétrole est l'énergie de la Terre, le nucléaire est l'énergie de l'intelligence. »

L'attitude face à l'énergie relève plus de la posture et du suivisme que d'une réelle culture qui demande de faire l'effort de se pencher sur le problème. Il faut envisager la sortie des fossiles, pour des raisons climatiques et aussi parce qu'ils finiront par se tarir ou devenir trop couteux à exploiter. Après les énergies de stock il faudra passer aux énergies de flux. Les énergies renouvelables —faible densité, problème d'acceptabilité (éoliennes, barrages hydroélectriques, fermes photovoltaïque...), stockage limité de l'électricité —, n'y suffiront pas. Alors pourra-t-on se passer du nucléaire ? Je parle des réacteurs de Génération IV ou d'ITER. En ce sens je suis favorable à la poursuite des recherches sur l'énergie nucléaire.