Le plus grand Meccano du monde

31 juil, 2014
Lorsqu'on les compare au tokamak ITER, une navette spatiale, un porte-avions, un sous-marin nucléaire, sont des « objets » relativement simples. Leur technologie est éprouvée et leur fabrication quasiment industrialisée.
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Dans la fabrication des éléments du tokamak ITER, il faut que chacun puisse toucher à tout. C'est l'enjeu pédagogique du programme: participer à ITER, c'est donc apprendre à maîtriser tous les paramètres permettant d'aborder la construction, à l'horizon 2030, d'un prototype de réacteur de fusion industriel. (Tous les éléments de la machine, et donc toutes les contributions des pays membres ne sont pas représentés sur ce dessin).

Rien de tel avec ITER. La machine est unique et la plupart de ses éléments sont expérimentaux. S'il existe d'autres grands tokamaks dans le monde, aucun n'approche la taille et la complexité de celui que l'on construit à Saint-Paul-lez-Durance.

Au défi de la complexité s'en ajoute un autre, non moins redoutable : celui de la fabrication des différentes pièces de la machine, coordonnée par ITER Organization mais répartie entre les sept partenaires du programme — la Chine, les 28 états membres de l'Union européenne et la Suisse, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les Etats-Unis.

Si le programme ITER se résumait à construire et à faire fonctionner un tokamak géant, capable de générer plus d'énergie qu'il n'en consomme, tout serait beaucoup plus simple. Mais ITER est bien autre chose : ses promoteurs, dès l'origine, ont voulu que le programme soit une « école » pour les partenaires du programme.

Participer à ITER, c'est donc apprendre à maîtriser tous les paramètres, scientifiques, technologiques, organisationnels et industriels permettant d'aborder la construction, à l'horizon 2030, d'un prototype de réacteur de fusion industriel (voir « ITER, et après ? », Le magazine n°3).

Dans cette perspective, il faut que chacun puisse toucher à tout. Ainsi, l'Europe et la Corée se partagent la fabrication des neuf « tranches » de la chambre à vide ; le solénoïde central est l'œuvre des Etats-Unis et du Japon ; le divertor est le fruit d'une collaboration entre l'Europe, la Russie et Japon ; l'Inde partage la responsabilité du système de refroidissement avec les Etats-Unis ; la fabrication des modules de couverture est répartie entre la Chine, l'Europe, la Corée, la Russie et les Etats-Unis et six des sept partenaires sont impliqués dans la production des aimants de la machine.

Finalisée au début de l'année 2006, la répartition des tâches s'est faite en tenant compte à la fois des souhaits et des compétences techniques et industrielles de chacun.

Combien ça coûte ?   Les coûts de fabrication d'un même objet, qu'il s'agisse d'un T-shirt ou d'un module de couverture destiné à la chambre à vide d'ITER, varient fortement d'un pays à l'autre.De même, sur le long terme qui est l'échelle de temps d'ITER, l'évolution des monnaies nationales, du coût du travail et des matières premières, peut connaître d'importantes fluctuations.Pour s'affranchir de ces contraintes et garantir la stabilité, en valeur, de la contribution de chacun des membres, une « monnaie » spécifique, à usage interne, a été mise en place :  l'ITER Unit of Account (IUA). C'est en IUA, ou plutôt en milliers d'IUA (kIUA), que sont libellés des accords de fourniture passés entre ITER Organization et les agences domestiques des partenaires du programme.L'Europe, qui contribue à hauteur de 45,5% au programme ITER (bâtiments et pièces de la machine), a fixé un plafond de 6,6 milliards d'euros à son engagement (lequel inclut une collaboration bilatérale avec le Japon appelée « Approche élargie »). En extrapolant, on peut estimer estimer que le coût total de l'installation ITER devrait être de l'ordre de 13 milliards d'euros. Mais ce chiffre ne reflète probablement pas la réalité, car il impliquerait que les coûts de fabrication, dans chacun des pays membres, sont les mêmes qu'en Europe. Or, c'est loin d'être le cas.Quand bien même la « facture » totale d'ITER s'élèverait à 13 milliards d'euros, il faut rappeler que cette somme, étalée sur dix ans, est partagée entre 35 pays qui représentent 80% de la production de richesse de la planète. A titre de comparaison, le Qatar investit 150 milliards d'euros dans les infrastructures de la Coupe du monde de football 2022.
Pour la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les Etats-Unis, ces fabrications représentent 9,1% de la valeur totale de la construction de l'installation. Pour l'Europe qui, outre sa part dans la fabrication des éléments de la machine fournit la quasi-totalité des bâtiments du site, la contribution s'élève à un peu plus de 45% — un investissement compensé par les retombées économiques du programme (4 milliards d'euros de contrats ont été passés depuis 2007) sur le territoire européen.

Pour gérer ces contributions en nature, un système très particulier a été mis en place : ITER Organization, concepteur et chef d'orchestre de l'ensemble du programme, passe des « accords de fourniture » (Procurement Arrangements) avec les agences domestiques mises en place par chacun des sept partenaires, lesquelles lancent alors des appels d'offre auprès des industriels de leur pays. A ce jour, une centaine d'accords de fourniture ont été conclus, représentant près de 90% de la valeur totale de la machine et des bâtiments du programme (voir encadré). Ils ont débouché sur plus de 1 800 contrats de design ou de fabrication.

En Europe, en Asie, sur le continent américain, les usines tournent désormais à plein pour fabriquer les éléments et les systèmes du plus grand Meccano du monde — un million de « composants », plus de dix millions de pièces...

La gestion de ce système est lourde et complexe, parfois frustrante, mais sans lui, ITER n'existerait tout simplement pas.

Pour créer ITER, pour rassembler les partenaires autour d'un projet commun, il fallait dépasser la relation client-fournisseur qui est de règle dans l'industrie. Il fallait inventer une forme de partenariat, à la fois libre et contraignant, ménageant les intérêts de chacun et ceux de l'ensemble du programme.

C'est là la difficulté, mais aussi la beauté d'ITER, fondé sur un mode de collaboration et de partage qui n'avait jamais été expérimenté à ce jour.

Photo de Une: Comme chacun des sept membres d'ITER, la Chine assume sa part dans la fabrication des éléments du tokamak. Ici, après avoir réalisé une maquette à échelle 1:1, l'Institut de physique des plasmas de l'Académie des sciences chinoise (ASIPP) s'apprête à lancer la fabrication des 18 « bobines de correction » de la machine.