L'art de tisser l'acier

31 mai, 2014
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Au total, 4 000 tonnes d'acier forment le squelette du « plancher » de béton qui portera la masse (360 000 tonnes) du Complexe Tokamak. C'est dans la partie centrale, sur laquelle reposera la machine, que l'agencement des barres d'acier est le plus complexe.

Au total, 4 000 tonnes de barres d'acier doivent être précisément agencées de manière à ce que les efforts, en situation normale comme en situation accidentelle, se répartissent de la manière la plus homogène possible.

Les plans qui guident les gestes des ouvriers, barre après barre, niveau après niveau, sont l'aboutissement de centaines d'heures de calculs, de modélisations et de simulations.

Tout commence avec des questions simples : quels bâtiments, quels équipements, les éléments de structure doivent-ils porter ? Quel est leur poids ? Quelles fonctions de sûreté — confinement, radioprotection, résistance aux séismes — doivent-ils assurer ?

Mais le poids n'est pas tout. Il y a les « forces » auxquelles bâtiments et équipements vont être soumis pendant la phase d'exploitation de la machine. Le cryostat (le réfrigérateur géant qui enveloppe la machine) se contracte et se dilate ; le tokamak lui-même peut être soumis à des mouvements verticaux ; les champs magnétiques génèrent d'énormes contraintes mécaniques ; un séisme peut survenir...

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Quelle que soit la densité du ferraillage, un accès doit être ménagé pour les embouts des pompes à béton et pour les "vibreurs" qui homogénisent sa diffusion dans l'entrelacs des barres d'acier.
Dans un bâtiment conventionnel, ces forces se mesurent en décanewtons. Dans le Complexe Tokamak c'est le méganewton (100 000 décanewtons) qui règne — l'unité de force qui correspond à une accélération d'un mètre par seconde appliquée à une masse de mille tonnes...chaque seconde.

L'ensemble de ces données, augmentées de provisions de sécurité, passe alors au filtre des codes de calcul. « Le code va nous dire : pour répondre à ces contraintes, il faut telle quantité d'acier par mètre linéaire de béton, explique Laurent Patisson, responsable des bâtiments nucléaires au sein d'ITER Organization. Mais il ne nous dira rien de la manière dont le ferraillage doit être agencé. »

Entrent alors en scène les « ingénieurs calcul », spécialisés dans l'analyse structurelle, qui interprètent les données brutes des codes et les traduisent en schémas de construction tridimensionnels. Les « projeteurs » leur succèdent, affinant encore le design du ferraillage avant que l'entreprise sous-traitante ne le traduise en un « plan d'exécution » compatible avec sa propre méthodologie.

« Il faut que tout cela demeure 'constructible', poursuit Laurent Patisson, c'est-à-dire que, quelle que soit la densité et la complexité de l'agencement des barres d'acier, il faut disposer d'espaces suffisants pour insérer le tuyau de la pompe à béton et les aiguilles des vibreurs... »

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Barre après barre, lit après lit... les plans détaillés qui guident les gestes des ouvriers sont le fruit de centaines d'heures de calcul, de modélisations et de simulations.
Pour s'en assurer, les plans et les modélisations ne suffisent pas. On a donc construit, à proximité de la fosse du tokamak, une maquette à échelle 1 :1, sur laquelle on teste à la fois l'agencement du ferraillage et la faisabilité du coulage du béton.

Cette procédure longue, complexe, d'une rigueur extrême, contrôlée à chacune de ses étapes par l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN), garantit que, même dans les situations les plus extrêmes (accident, séisme), le confinement de l'installation sera préservé — ce qui constitue, pour la sécurité des populations riveraines, la meilleure assurance.