Qui a « inventé » la fusion ?
Les visiteurs, que l'on accueille par milliers sur le site d'ITER, posent souvent cette question : « Qui a découvert (ou inventé) la fusion ? »
Une première réponse, simple et évidente, consiste à dire : « Mais, c'est la nature ! » Vrai : cent million d'années après le Big Bang, les premières réactions de fusion se sont produites dans le cœur ultra-chaud et ultra-dense des gigantesques sphères gazeuses que l'effondrement des nuages d'hydrogène primitifs avait patiemment formées. Ces étincelles, suivies de formidables embrasements, marquèrent la naissance des premières étoiles.
Mais tout cela, il fallut attendre le début du XXe siècle pour le comprendre. L'astrophysicien anglais Arthur Eddington (1822-1944) fut le premier à suggérer, en 1920, qu'une réaction nucléaire — la transmutation de l'hydrogène en hélium — était à l'origine du feu des étoiles.
Et il fallut près de vingt ans encore pour que le physicien Hans Bethe (1906-2005) mette en équations, en 1939, l'enchaînement de réactions — la « chaîne proton-proton » — qui, partant de quatre noyaux d'hydrogène aboutit à un noyau d'hélium. Ces travaux, inclus dans une explication plus large des processus de transmutation de la matière au sein des étoiles vaudraient à l'Alsacien Bethe — il était né à Strasbourg alors rattaché à l'Allemagne — le prix Nobel de physique en 1967.
Tandis qu'Eddington, Bethe et quelques autres scrutaient les étoiles pour en percer les mystères, d'autres se penchaient sur l'atome pour en révéler les secrets. En 1911, trois ans après avoir reçu le prix Nobel de Chimie pour ses travaux sur la désintégration atomique et la chimie des substances radioactives, le physicien néo-zélandais Ernest Rutherford (1871-1937) avait élaboré le « modèle atomique » qui porte son nom — un petit noyau lourd, un vaste espace vide et un cortège d'électrons périphériques.
Son assistant, l'Australien Mark Oliphant (1901-2000) avait joué un rôle-clé dans la mise au point et l'observation de ces premières expériences de fusion. On lui devra la découverte du deuxième isotope lourd de l'hydrogène, le tritium — l'autre « combustible » de la fusion — et de l'hélium 3, un élément riche de promesses pour les réacteurs de deuxième ou troisième génération.
A la veille de la Deuxième guerre mondiale, un solide cadre théorique avait été établi — on pouvait dès lors envisager de concevoir des machines qui exploiteraient les réactions de fusion pour produire de l'énergie.
De nombreux problèmes de physique fondamentale restaient toutefois à explorer, et cette exploration allait durer beaucoup plus longtemps que les scientifiques ne l'imaginaient.
Bien que le premier brevet d'une « machine de fusion » ait été déposé en 1946 au Royaume-Uni (Thomson et Blackman), ce n'est qu'au tout début des années 1950 que la recherche prit véritablement son essor.
Une farce politico-scientifique est à l'origine de cette subite accélération : au mois de février 1951, le président argentin Juan Perón affirma avec fracas que ses équipes scientifiques avaient réussi à « libérer l'énergie de l'atome » dans un réacteur de fusion nucléaire.
C'était faux. Mais ce fut suffisant pour déclencher une véritable course aux réacteurs de fusion, dans laquelle les Etats-Unis se lancèrent dès le mois de mai suivant. A l'Université de Princeton, l'astrophysicien Lyman Spitzer (1914-1997) proposa un modèle de « machine de fusion », le stellarator, qui allait dominer la recherche tout au long des années 1950-1960 jusqu'à ce qu'il soit « détrôné » par les premiers tokamaks mis au point en URSS.
Tout, dès lors, est allé très vite. Moins d'un siècle après qu'Eddington formula sa prodigieuse intuition, ITER s'apprête à démontrer que le feu des étoiles peut-être reproduit, maîtrisé et mis à contribution pour assurer l'avenir énergétique de l'humanité.