Chaud devant !

20 fév, 2014

Dans les profondeurs du Soleil, où les réactions de fusion prennent naissance, la température atteint 15 millions de degrés centigrades. Au cœur du plasma d'ITER, elle sera de l'ordre de 150 à 300 millions de degrés.

Cette magnifique image est celle d'un plasma dans le tokamak coréen KSTAR. Les zones qui apparaissent surexposées ne sont pas les plus chaudes : à 150 millions de degrés, le plasma ne rayonne pas dans la lumière visible et c'est au cœur des deux « D » inversés que la température est la plus élevée. Photo: KFE

Comment imaginer un tel environnement ? Et dans quelle enceinte contenir un milieu dix, voire vingt fois plus « chaud » que le cœur du Soleil ?

Pour répondre à ces questions, il faut d'abord comprendre ce qu'est la température. Aux yeux du physicien, la température ne mesure pas seulement le « chaud » et le « froid » — elle rend compte de l'énergie des particules (noyaux, atomes, molécules) qui constituent un objet ou un environnement. Et c'est la vitesse à laquelle ces particules se déplacent qui détermine l'énergie dont elles sont animées.

Ainsi de l'eau : à l'état solide (glace) les molécules sont peu mobiles, la température est basse ; quand celle-ci s'élève, l'agitation des molécules augmente, l'eau devient liquide. Que la température augmente encore et les molécules seront animées de vitesses de plus en plus rapides — l'eau passera de l'état liquide à l'état gazeux sous forme de vapeur d'eau.

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Si la température à la surface du Soleil est de l'ordre de 6 000 degrés, elle atteint 15 millions de degrés en son cœur, là où, dans un milieu d'une extrême densité, les réactions de fusion prennent naissance. Pour réaliser la fusion dans un tokamak, il faut porter le plasma (très peu dense) à des températures au mois dix fois supérieures. © SOHO-NASA-ESA
La température toutefois, n'est pas la « chaleur ». Prenons l'exemple de ce qu'on appelle improprement un « néon », c'est-à-dire un tube fluorescent contenant un gaz (néon, argon, vapeur de mercure...) excité par une décharge électrique. Au sein du tube, la température du gaz est très élevée, de l'ordre de 10 à 15 000 degrés. Or, au toucher, un « néon » est presque froid.

Ce paradoxe s'explique par la très faible densité du gaz contenu dans le tube fluorescent. Pour transmettre de la chaleur d'un milieu vers un autre, il faut de la densité et plus celle-ci est élevée, plus grande sera la quantité de chaleur transférée. Une barre de fer exposée au grand soleil pourra être brûlante au toucher ; dans les mêmes conditions, un bout de bois, beaucoup moins dense, ne le sera jamais.

Fusion, mode d'emploi Pour obtenir une réaction de fusion, on placera dans un récipient (la chambre à vide) une toute petite quantité d'un mélange gazeux composé à parts égales de deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium. En appliquant à ce mélange une forte décharge électrique (un « claquage ») on transformera ce mélange gazeux en plasma — les électrons seront arrachés aux atomes et le milieu deviendra conducteur. Un courant électrique circulant dans le plasma en augmentera progressivement la température. C'est le principe du grille-pain ou du radiateur électrique (le « chauffage ohmique »), qui permettra d'atteindre une température de l'ordre de 10 millions de degrés C. Pour aller au-delà, d'autres techniques devront être mises en œuvre : le chauffage par ondes radiofréquence, comme dans un four à micro-ondes (mais les systèmes d'ITER seront 25 000 fois plus puissant qu'un modèle domestique et ils opèreront à différentes longueurs d'ondes...) et l'injection de particules de très haute énergie au cœur du plasma — un peu comme le garçon de café qui chauffe un pot de lait en soumettant son contenu à un jet de vapeur sous pression. Ces deux dernières techniques sont chacune à même de porter le plasma à la température requise. ITER, machine expérimentale, permettra de choisir laquelle des deux est la mieux adaptée au fonctionnement d'un réacteur industriel.
Revenons maintenant au plasma d'ITER et à ses 150 à 300 millions de degrés. Le plasma est un milieu très ténu ; c'est un quasi-vide, un million de fois moins dense que l'air que nous respirons. Aux particules qu'il contient, on a imprimé par diverses techniques de chauffage (voir encadré), une formidable énergie. Les voici animées d'une vitesse prodigieuse. Lorsqu'elles entrent en collision frontale, le choc est tel que la barrière électromagnétique qui les entoure cède — la fusion des noyaux peut alors s'accomplir.

Pour une raison contraire à ce que le bon sens suggère, rien, aucun objet physique ne peut « contenir » un tel milieu, porté à une telle température. Si le plasma à 150 millions de degrés (mais très ténu) entrait en contact avec une quelconque partie de la machine, cette partie serait certes superficiellement endommagée. Mais il y aurait plus grave, et plus lourd de conséquences : le plasma, en dépit de sa température infernale, se refroidirait quasi instantanément, interdisant toute possibilité de fusion.

A cet obstacle fondamental, les « bouteilles magnétiques », dont les tokamaks sont les héritiers, ont fourni dès les années 1950 un début de solution. Dans ce dispositif, sans cesse amélioré depuis, le plasma est confiné par des champs magnétiques très intenses, générés par de puissants électro-aimants. On l'empêche ainsi de se dilater sous l'effet de sa pression interne et d'entrer en contact physique avec les parois internes de la machine.

Au cœur de la machine ITER, physiciens et ingénieurs s'apprêtent à reproduire la réaction physique qui, en alimentant le feu du Soleil, entretient depuis des milliards d'années la vie sur notre planète. Dans cette même réaction, l'humanité trouvera la ressource énergétique, inépuisable, propre et sûre, qui soutiendra son développement dans les siècles à venir.

Voir la vidéo d'un plasma dans les tokamaks JET (Europe), MAST (Royaume-Uni), JT-60 (Japon) et Tore Supra (CEA-Euratom)