Loin d'ITER, au cœur de la machine

25 nov, 2013

Dans les usines des Membres d'ITER, la production des éléments de la machine est lancée. Reportage au chantier naval Hyundai, en Corée, où deux des neuf « secteurs » de la chambre à vide sont en cours de fabrication.

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Cette coquille d'acier, haute de près de 6 mètres, est la partie supérieure d'une des deux ''secteurs'' de la chambre à vide du tokamak que la Corée doit livrer à ITER.

​Nous sommes en Corée. Mais nous pourrions tout aussi bien être en Chine, en Inde, au Japon, en Europe, en Russie ou aux Etats-Unis — partout, dans les usines des partenaires du programme ITER, où se fabriquent les éléments de la machine.

Nous sommes en Corée et plus précisément à Ulsan, une ville industrielle d'un million et demi d'habitants, sur la côte sud-est de la péninsule. Ulsan abrite le chantier naval Hyundai Heavy Industries (HHI), l'un des trois plus grands du monde. Ici, les bâtiments de toute nature — supertankers, méthaniers, paquebots, porte-conteneurs... — sont produits au rythme annuel de plusieurs centaines d'unités.

Non loin des cales où s'alignent les navires en cours de fabrication, dans un vaste atelier propre comme un laboratoire, un objet inhabituel, ne ressemblant en rien à ce qu'HHI a jamais produit, est en train de prendre forme : cette coquille d'acier, haute de près de 6 mètres, est un des éléments de la chambre à vide du tokamak ITER.

La chambre à vide forme le cœur de la machine. C'est dans son enceinte, d'un volume proche du millier de mètres-cubes, que le petit Soleil d'ITER s'allumera dans quelques années. Un peu à la manière d'une orange, ou d'une citrouille, la chambre à vide est constituée de tranches, appelées « secteurs ». Dans la répartition des fabrications entre les sept membres d'ITER, deux de ces tranches doivent être fournies par la Corée, les sept autres par l'Europe.
 
Le chantier naval Hyundai Heavy Industry, à Ulsan, en Corée, est l'un des trois plus grands du monde. Ici, les bâtiments de toute nature sont produits au rythme annuel de plusieurs centaines d'unités.
Pour impressionnant qu'il soit, le segment en cours de fabrication à Ulsan ne constitue que la partie supérieure d'un secteur de chambre à vide (voir schéma ci-dessous). Une fois les différents segments assemblés et soudés — la pièce sera alors haute de plus de 17 mètres — les deux secteurs fabriqués par la Corée prendront la mer pour être livrés sur le site d'ITER, à Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône).
 
Et il en sera ainsi pour la totalité des éléments de la machine, quel que soit le pays qui les a fabriqués : une longue traversée maritime, suivie de trois ou quatre nuits de transport par convoi très exceptionnel le long de l'Itinéraire ITER (voir article) et les pièces, parvenues à destination, seront prêtes pour l'assemblage final.
 
Pour Hyundai Heavy Industries, comme pour tous les industriels engagés dans la fabrication des éléments de la machine, travailler pour ITER constitue un défi, tant sur le plan de l'organisation que sur celui de la technologie.
 
Car tout est inédit dans ces fabrications : l'acier, d'un type spécial produit spécialement pour ITER ; les techniques de soudage ; les tolérances infimes ; les procédures de contrôle...
 
La chambre à vide du tokamak, dans laquelle la réaction de fusion se produit, est composée de neuf "sections", dont sept sont fournies par l'Europe et deux par la Corée.

Les pièces du tokamak ITER sont des objets de très haute technologie dont les spécifications sont exceptionnellement rigoureuses. Celles qui, comme les secteurs de chambre à vide, relèvent de la catégorie des « Éléments importants pour la sûreté » font l'objet d'un contrôle particulièrement strict.

Soumis aux procédures de contrôle-qualité de l'industriel lui-même, les processus de fabrication sont régulièrement examinés par des représentants d'ITER-Corée, d'ITER Organization et par des experts extérieurs agréés par l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN). Quant aux inspecteurs de l'ASN — les « gendarmes du nucléaire » —, ils doivent se rendre à Ulsan au mois de janvier 2014.

Contribuer à la fabrication du tokamak ITER impose des contraintes importantes. Mais le bénéfice est considérable: en fabriquant les pièces de la machine, l'industriel acquiert une maîtrise technologique et méthodologique qui lui sera précieuse dans d'autres fabrications, ou lorsque la fusion entrera dans l'ère commerciale.
 
Chez HHI, Byung-Ryul Roh, directeur général du Département de l'énergie nucléaire, en convient. « A l'échelle de notre société, le contrat ITER est un 'petit contrat' même s'il représente, en valeur, l'équivalent de deux supertankers. Mais pour le savoir-faire acquis autant que pour le prestige que ces fabrications nous confèrent, c'est un contrat très important... »
 
Près de 10 000 kilomètres séparent les rives de Durance de celles de la mer du Japon (que les Coréens appellent « mer de l'est »). Entre les deux, le programme ITER jette un pont. Il en jette d'autres avec la Chine, l'Inde, le Japon, les Etats-Unis, la Russie et les différents pays d'Europe où d'autres éléments, tout aussi délicats et complexes, sont en cours de fabrication.
 
Bientôt, les pièces de cet immense puzzle seront rassemblées à Saint-Paul-lez-Durance. ITER aura alors accompli la première partie de sa mission : réunir les nations du monde autour d'un projet commun, avant d'ouvrir la voie à l'exploitation d'une source d'énergie nouvelle, capable de satisfaire, pour des millénaires, les besoins en électricité de l'humanité.