Assemblage de la machine

Des éléments essentiels devront être réparés

Quand on construit une machine aussi monumentale et complexe qu'ITER, les difficultés et les obstacles font partie intégrante des processus de fabrication, d'assemblage et d'installation des éléments, eux-mêmes uniques par leur taille et leur complexité. Des premiers stades de leur fabrication à leur mise en place définitive dans le puits d'assemblage du tokamak, ces éléments sont une source de défis permanents. Il arrive cependant qu'au cœur des problématiques quotidiennes une difficulté plus sérieuse se présente nécessitant une analyse approfondie, des solutions créatives et une réévaluation du calendrier et des coûts. Deux ans et demi après le début de la phase d'assemblage de la machine, ITER est aujourd'hui confronté à une situation de ce type : des défauts ont été identifiés sur deux types de pièces essentielles au fonctionnement du tokamak, les écrans thermiques et les secteurs de la chambre à vide.
Le panneau d'écran thermique et son circuit de refroidissement sont clairement visibles sur ce gros plan d'un module de chambre à vide, pris en sandwich entre la chambre à vide proprement dite (sur la droite) et l'une des bobines de champ toroïdal associées (sur la gauche).
Les écrans thermiques de la chambre à vide et ceux du cryostat sont des éléments d'une épaisseur de 20 et 10 millimètres respectivement, activement refroidis et recouverts d'une fine couche d'argent. Ils contribuent à l'isolation thermique du système magnétique supraconducteur, qui doit être maintenu à la température de 4K, soit moins 269°C. Dans chacun des neuf modules de la chambre à vide, dont le premier est déjà installé dans la fosse d'assemblage de la machine, les panneaux d'écran thermique sont positionnés dans l'étroit espace entre le secteur de chambre à vide et les deux bobines de champ toroïdal associées. La paroi interne du cryostat est elle aussi doublée d'un écran thermique circulaire d'environ 20 mètres de diamètre, qui vient compléter la barrière thermique protégeant le système magnétique supraconducteur. La partie basse de l'écran thermique du cryostat a été mise en place dans le puits d'assemblage au mois de janvier 2021.

Au mois de novembre 2021, des tests d'étanchéité à l'hélium ont mis en évidence des fuites au niveau d'un élément de l'écran thermique de la chambre à vide qui avait été réceptionné un an et demi plus tôt. Des groupes de travail composés d'experts issus des différents partenaires d'ITER ont été rapidement mis en place pour analyser le problème. Ils ont constaté que les fuites étaient dues à un double phénomène : des contraintes générées par le cintrage des tubulures du circuit de refroidissent et par leur soudage sur les panneaux de l'écran thermique, conjuguées à une lente réaction chimique causée par la présence de résidus de chlore¹ dans de petites zones proches des soudures. Cette réaction a provoqué ce que l'on appelle une « fissuration par corrosion sous contrainte » et, au fil du temps, des fissures atteignant 2,2 millimètres de profondeur se sont développées dans les tubulures. Une question cruciale s'est alors posée : s'agissait-il d'une défaillance ponctuelle se limitant aux éléments examinés ou d'un problème systémique touchant l'ensemble des composants de l'écran thermique ?

Les techniques d'investigation (tomographie assistée par ordinateur à haute résolution, microscope électronique à balayage, spectromètre de rayons X à dispersion d'énergie et examens métallographiques) ont mis en évidence une fissuration des tubulures du circuit de refroidissement de l'écran thermique, comme on peut le voir sur ces images. Sur la gauche, une fissure de 1,5 mm d'épaisseur. Celle de droite mesure 2,2 mm d'épaisseur et s'étend sur toute la largeur du tube.
« Le risque est trop élevé et l'apparition, en cours d'exploitation, d'une fuite au niveau d'un panneau d'écran thermique aurait des conséquences trop graves. Nous devons donc considérer l'hypothèse qu'il s'agit d'un problème général pouvant affecter d'autres panneaux d'écran thermique, explique Pietro Barabaschi, le directeur général d'ITER. Intervenir dans le puits d'assemblage, sur le module en place serait extrêmement difficile. Il nous faudra donc extraire le module et le démonter pour procéder aux réparations. Nous étudions différentes possibilités, depuis la réparation sur place jusqu'à la re-fabrication dans une usine extérieure, peut-être avec d'autres solutions pour fixer les tubulures. Mais il ne fait aucun doute qu'elles devront être remplacées. » Le problème est moins aigu pour les panneaux du écran thermique du cryostat, dont les tubulures sont d'un accès plus aisé.

S'il semble établi que cette défaillance de l'écran thermique est principalement due à un défaut de conception du système de fixation, qui empêche d'éliminer totalement les résidus de chlore lors des opérations de rinçage, les défauts constatés sur les secteurs de la chambre à vide relèvent d'une problématique de fabrication industrielle plus courante : les déformations générées par les processus de soudage, aggravées par la complexité structurelle des secteurs de la chambre à vide du Tokamak.

Près de 23 kilomètres de tubulures sont soudés à la surface des panneaux de l'écran thermique. Sur cette photo d'un module de chambre à vide dans un portique de pré-assemblage, les tubulures du panneau d'écran thermique sont clairement visibles.
Comme pour tout objet technologiquement complexe, la fabrication des éléments du Tokamak ITER fait appel à la conception tridimensionnelle assistée par ordinateur (CAO 3D). Au stade de la conception 3D, les dimensions d'un composant sont par définition nominales (théoriques) et les pièces s'ajustent les unes aux autres comme les rouages d'une montre de luxe. Mais les choses sont différentes dans la réalité industrielle : des écarts apparaissent inévitablement pendant le processus de fabrication et peuvent aboutir à des « non-conformités » qu'il faudra ensuite corriger. Comme tous les grands programmes industriels, ITER est quotidiennement confronté à ce type de problématique.

Les écarts apparus pendant le soudage des secteurs de la chambre à vide ont généré des « non-conformités » dimensionnelles des enveloppes extérieures, ce qui a modifié la géométrie des surfaces de jonction au niveau desquelles seront soudés les secteurs.
Lorsqu'un composant final est constitué de plusieurs parties usinées séparément puis soudées les unes aux autres, et lorsque ce composant est aussi haut qu'un immeuble de six étages, comme la chambre à vide d'ITER, les non-conformités dimensionnelles sont proportionnelles à ses dimensions.

Dans le cas des trois secteurs de chambre à vide déjà livrés, le soudage des quatre segments qui les composent a modifié en différents points de la coque externe les dimensions nominales au-delà de la tolérance prévue. Ces non-conformités dimensionnelles ont altéré la géométrie des surfaces de jonction au niveau desquelles les secteurs doivent être soudés entre eux, compromettant l'accès et les fonctionnement des outils de soudage automatisé, spécialement conçus à cette fin.

En dépit des diverses activités en cours dans l'espace restreint de la fosse d'assemblage et des risques de contamination par des poussières, des solutions de réparation in situ, sans extraire le module de chambre à vide de son emplacement actuel, ont tout d'abord été envisagées. « Le problème rencontré avec l'écran thermique a changé la donne, indique le directeur général d'ITER. Dans la mesure où nous devons démonter le module pour réparer les tubes de l'écran thermique, la question de réparer le secteur de chambre à vide à l'intérieur ou à l'extérieur de la fosse ne se pose plus. Nous n'avons pas d'autre solution que de l'extraire. »

Tandis que les équipes affinent les stratégies de réparation des deux éléments, qu'elles définissent un planning et évaluent les coûts, la séquence d'assemblage de la chambre à vide est suspendue. « Nous savons ce que nous devons faire et comment le faire, et nous sommes parfaitement conscients des conséquences de ces opérations sur le calendrier et les coûts... et elles ne seront pas négligeables. »

Pour gérer efficacement les problèmes apparus au niveau des tubes du écran thermique et de la chambre à vide, l'équipe a décidé d'extraire le module déjà installé dans la fosse de la machine (le secteur 6, que l'on voit sur la photo) et de le démonter pour procéder aux réparations. Selon Pietro Barabaschi, le directeur général d'ITER, les conséquences sur le calendrier et les coûts « seront loin d'être négligeables ».
« S'il y a un aspect 'positif' dans cette situation, c'est qu'elle se produit à un moment où nous pouvons y remédier », ajoute-t-il. Le savoir-faire que nous développons pour gérer les éléments hors norme d'ITER sera utile à tous ceux qui lanceront leurs propres programmes de fusion. ITER est une infrastructure de recherche ambitieuse et unique qui, de par sa nature et sa mission, est confrontée à une large palette de défis et d'obstacles tout au long de sa phase de construction. Notre tâche, et notre devoir, est donc d'informer rapidement nos collègues du monde de la fusion afin que les précautions nécessaires puissent être prises avec les assemblages de ce type. »

¹ Avant d'être recouverts d'une fine couche d'argent, les panneaux de l'écran thermique sont nettoyés à l'acide chlorhydrique et revêtus de nickel. C'est au cours de ce processus que des résidus de chlore ont été piégés dans de petites poches à proximité des soudures des tubulures, provoquant une lente corrosion du matériau.