Supraconductivité : le courant passe...
Dans le tokamak européen JET, à ce jour le plus grand du monde, la consommation électrique de ces électro-aimants est de l'ordre de 150 MW — plus du sixième de la puissance que fournit un réacteur électronucléaire de type Tricastin ou Gravelines.
Celle-ci est directement liée à la résistance électrique, qui, même dans un métal conducteur comme le cuivre, est loin d'être négligeable. Sans cette résistance, la consommation électrique serait infime, voire, en théorie, nulle. Et, avantage non négligeable, les matériaux parcourus par le courant électrique ne s'échaufferaient pas.
En 1911, un physicien néerlandais, Heike Kamerlingh Onnes, découvrit, presque par hasard, que certains métaux, lorsqu'ils sont refroidis à très basse température, cessent de résister au passage de l'électricité.
Baptisée supraconductivité, cette propriété est restée sans applications pendant près d'un demi-siècle. A la suite de découvertes intervenues dans les années 1950, tant sur le plan théorique que sur celui des matériaux, la supraconductivité a révolutionné l'imagerie médicale, bouleversé la physique des particules et ouvert un avenir industriel et commercial à l'énergie de fusion.
Toutes les grandes machines de fusion construites depuis la fin des années 1980 — le stellarator LHD (Japon), les tokamaks Tore Supra (France), EAST (Chine), KSTAR (Corée) et SST-1 (Inde) — sont équipées d'aimants supraconducteurs, comme le seront le stellarator W7-X (Allemagne), le tokamak JT-60 SA (Japon) et bien sûr ITER.
« Si les aimants d'ITER étaient en cuivre comme au JET, explique Arnaud Devred, responsable des systèmes supraconducteurs à ITER, nous aurions besoin de l'équivalent d'un réacteur nucléaire (800 MW) pour les alimenter. Et en outre, ils s'échaufferaient très vite... Avec des aimants supraconducteurs, la seule consommation est celle de la source de froid — l'usine cryogénique qui a besoin de 20 MW. »
Dans un système magnétique supraconducteur conventionnel, le ou les aimants baignent dans le fluide qui les refroidit. Mais les aimants d'ITER sont bien trop imposants (24 mètres de diamètre pour le plus gros des aimants annulaires, ou PF Coils ; 14 mètres de haut pour les 18 aimants verticaux, ou TF Coils) pour qu'une telle solution puisse être retenue.
On a donc développé, au milieu des années 1970 et pour les besoins spécifiques de la fusion, un type de câble supraconducteur inédit : le « câble-en conduit » qui enserre les brins supraconducteurs dans une gaine-d'acier à l'intérieur de laquelle le fluide de refroidissement circule sous flux forcé.
La taille exceptionnelle des aimants d'ITER, et le recours, pour certains d'entre eux, à un alliage très particulier (le niobium-étain) a bouleversé le marché mondial des supraconducteurs : la machine va utiliser, sous forme de « brins » plus du cinquième (275 tonnes) de la production annuelle mondiale de niobium-titane ; quant au niobium-étain, sa production qui était de l'ordre de 15 tonnes annuellement elle a dû être multipliée par six pour répondre aux seuls besoins d'ITER — de l'ordre de 600 tonnes.
« Grâce à la supraconductivité, résume Arnaud Devred, on a pu développer de nouveaux instruments de physique qui ont repoussé les limites de la connaissance. »
Appliquée à la fusion, ce petit miracle de la physique a permis de concevoir des machines dont la consommation électrique ne grèvera pas le bilan énergétique. Sans supraconductivité, la fusion était condamnée à ne jamais sortir du laboratoire.