35 nations, 40 langues, quelle culture?

20 fév, 2014
Sur les rives de Durance, à mi-chemin d'Aix-en-Provence et de Manosque, une petite communauté s'est créée — un demi-millier de personnes, venues de 35 pays avec leur langue, leur culture, leurs habitudes de vie et leurs méthodes de travail.
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L'anglais, langue maternelle d'à peine 15% du staff ITER, est la langue de travail quotidienne. Mais pour se comprendre, une langue commune ne suffit pas.

Il y a parmi eux des physiciens, des secrétaires, des ingénieurs, des comptables, des administrateurs, des spécialistes d'une multitude de domaines différents. Certains viennent des grands laboratoires de recherche, d'autres de l'industrie ou des grandes organisations internationales.

Ces hommes et ces femmes ont été rassemblés pour construire ITER. Les plus âgés ont travaillé pendant plus de trente ans pour voir aboutir ce projet ; les plus jeunes venaient au monde quand le programme fut officiellement lancé à la fin de l'année 1985.

L'anglais, langue maternelle d'à peine 15% d'entre eux, est leur langue de travail quotidienne. Mais pour se comprendre, une langue commune ne suffit pas. C'est là toute la difficulté et toute la richesse du multiculturalisme au sein de l'organisation internationale ITER.

A l'exception des Nations unies, une telle diversité de langues, d'origines et de cultures (nationales et professionnelles) ne se rencontre pas. Aux Nations Unies toutefois, chacun œuvre pour le pays qu'il représente — à ITER, quel que soit le pays d'origine, tous sont mobilisés par la réalisation de l'objectif commun.

Travailler à ITER, c'est être confronté, à chaque instant à la 'différence' de l'autre, explique Shawn Simpson, qui anime ateliers, séminaires et événements dédiés à « l'interculturalité » au sein de l'organisation. Et les pièges, linguistiques autant que culturels, sont nombreux. »

Traduits dans la ligua franca d'ITER, un simple « oui », un simple « non » ; un « je souhaite », un « je voudrais » peuvent exprimer des intentions très différentes selon qu'ils sont prononcés par un Japonais, un Chinois, un Américain, un Européen du sud ou du nord, un Indien, un Russe ou un Coréen...

Un geste, amical pour l'un, risque d'être perçu comme excessivement familier par l'autre ; un haussement de ton, banal dans telle culture, sera peut-être ressenti dans une autre comme une agression difficilement supportable.

La formulation des courriels — et il s'en échange des dizaines de milliers, chaque jour, au sein de l'Organisation — reflètent eux aussi les valeurs et les traditions de chaque langue, culture ou groupe national. Ici, les formules de politesse sont de règle ; là, elles sont considérées comme superflues. D'où, parfois, de sérieux malentendus.

Le rapport à l'autorité, à la hiérarchie, peut être totalement différent d'une culture à l'autre : souple, collaboratif chez les uns ; plus rigide, plus autoritaire chez les autres.

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Travailler à ITER, c'est être confronté, à chaque instant à la 'différence' de l'autre, explique Shawn Simpson, qui anime ateliers, séminaires et événements dédiés à « l'interculturalité » au sein de l'organisation.
« « La compréhension mutuelle repose sur une remise en question permanente de soi, dit Shawn, Américaine née au Vietnam et qui a grandi, entre autre lieux, en France, au Nigéria, en Australie. « Quand les problèmes surviennent, c'est toujours une question d'ego — quelle que soit la nationalité. »

En dépit de ces écueils, de ces « champs de mines » comme dit Shawn, au travers desquels il faut apprendre à progresser, les hommes et les femmes d'ITER se comprennent. Mieux : ils s'enrichissement mutuellement de leurs particularismes. « On apprend des autres, constamment ; et on apprend beaucoup sur soi. C'est quand même une chance extraordinaire... »

Depuis que les tout premiers arrivants se sont installés dans les préfabriqués mis à leur disposition par le CEA, en 2006, une culture nouvelle s'est peu à peu élaborée, nourrie des apports de toutes les autres. « Quand des Américains vont assister à un spectacle de danse traditionnelle japonaise en France, là, je me dis : l'interculturalité, à ITER, ça marche ! »

Les grandes entreprises humaines, qu'elles soient scientifiques ou non, seront toutes, demain, fondées sur de très larges collaborations internationales. Ce que les hommes et les femmes d'ITER « inventent » et vivent quotidiennement n'est peut-être pas encore un modèle. Mais c'est une expérience exceptionnellement riche, qui suscite déjà l'intérêt d'autres structures internationales.