A mi-chemin du premier plasma
Quand on construit un immeuble, un pont, un tronçon d'autoroute, les tâches à accomplir s'enchaînent de manière quasi-linéaire. Du premier coup de pioche à la livraison, le chemin est balisé et en dépit des surprises toujours possibles, des incidents, des contretemps, l'état d'avancement des travaux se mesure sans grande difficulté — on sait toujours où on en est.
Pour construire la machine, dix millions de pièces doivent être fabriqués, livrées et assemblées ; pour lui permettre de fonctionner, de véritables usines — cryogénie, alimentation électrique, chauffage du plasma et de refroidissement du tokamak — doivent être édifiées. Sur le site de Saint-Paul-lez-Durance, les « systèmes industriels » d'ITER occupent la majeure partie des 42 hectares dévolus à l'installation.
Comme le maître d'œuvre de l'immeuble, du pont ou du tronçon d'autoroute, ITER Organization, le « chef d'orchestre » de cette immense entreprise, a besoin de mesurer, en temps réel et avec le plus de précision possible, la distance qui le sépare de la « livraison » — en l'occurrence la mise en service de l'installation et la production d'un « premier plasma » à la fin de l'année 2025.
Cette distance ne se mesure pas en années ou en mois, mais au nombre de tâches (tasks) accomplies et restant à accomplir. Le planning général d'ITER en compte plus de 250 000 — depuis la finalisation du bobinage d'un aimant de 360 tonnes jusqu'au test d'un gyrotron ou au contrôle de fabrication d'un câble coaxial.
Mais là encore, rien n'est linéaire. Les tâches s'inscrivent dans différentes catégories de travaux qui progressent chacune à leur rythme et ne pèsent pas d'un même poids dans le calcul final.
En fonction de son importance dans la réalisation de l'objectif, chacune de ces catégories a été affectée d'un pourcentage : le design, par exemple, compte pour 24% du total ; la fabrication des pièces et la construction des bâtiments pour 48% ; les livraisons pour 8%... et c'est le degré d'avancement des tâches dans chacune des catégories qui détermine l'état d'achèvement des travaux de l'ensemble du programme.
Le 5 de chaque mois est inscrit en lettres rouges sur le calendrier de Colette Ricketts, qui dirige l'équipe d'une quarantaine de personnes chargée de suivre l'évolution du planning.
Ce jour-là, ITER Organization reçoit les rapports adressés par les « agences domestiques » de chacun des sept partenaires du programme. Commence alors un processus qui, au terme de dizaines de réunions et de téléconférences, d'innombrables échanges de courriels entre l'Europe, l'Amérique et l'Asie, aboutit à une image précise de l'état d'avancement des différentes fabrications qui incombent à chacun des membres d'ITER.
Une fois ventilée par catégories et traitée par de complexes algorithmes, cette masse de données va livrer une information vitale pour la conduite du programme. « Pour prendre les bonnes décisions au bon moment, explique Colette Ricketts, il est impératif de savoir, à chaque instant ou presque où nous nous situons par rapport à notre objectif. »
Au mois de novembre dernier, le verdict des algorithmes est tombé : ITER avait parcouru un peu plus de la moitié du chemin qui le sépare encore de son premier plasma. Depuis, le programme progresse au rythme de 0,6% par mois. À Saint-Paul-lez-Durance, la petite étoile devrait s'allumer à l'heure prévue.