Préserver la précieuse mémoire d'ITER
La contribution d'ITER à la physique et à l'ingénierie de la fusion, fruit de plusieurs décennies de décisions et de réalisations, permet à la communauté scientifique de bénéficier de connaissances auxquelles elle n'aurait sans doute pas pu accéder autrement. Au-delà du programme lui-même, l'innovation que génère ITER dans les domaines de l'intégration, de la fabrication, de l'assemblage et de l'exploitation contribuent au développement des futures installations de fusion nucléaire. Sous l'impulsion du directeur général d'ITER, une initiative a été mise en place pour sauvegarder la mémoire d'ITER et éviter la disparition des connaissances accumulées.
Lancé il y a plusieurs décennies, ITER est un programme multidimensionnel titanesque. La masse d'informations techniques générées, les enseignements tirés de l'expérience pratique, l'évolution de la conception de la machine et de ses systèmes, sans omettre les connaissances et l'expérience engrangées par les différentes générations qui ont contribué au programme, sont aujourd'hui disséminés sur de multiples plateformes.
Le nouveau projet est piloté par Gianfranco Federici, qui contribue au programme ITER depuis les années 1990 et travaille actuellement pour EUROfusion. Gianfranco Federici est à la tête du comité éditorial chargé d'élaborer, d'ici la fin de l'année 2026, un compendium exhaustif qui synthétisera sous une forme accessible et compréhensible les informations et les connaissances accumulées.
« Il s'agit d'un projet passionnant, complexe mais aussi quelque peu intimidant, explique-t-il. Notre objectif est de produire une publication unique et autonome détaillant les méthodologies et principes de conception, les fondements techniques qui sous-tendent la conception d'ITER et l'évolution du programme depuis le stade de la conception jusqu'au démarrage de la construction. Nous souhaitons aussi exposer avec précision les fondements techniques, scientifiques et réglementaires qui ont déterminé les principales décisions. »
Le groupe chargé du projet se composera d'une équipe éditoriale, d'une unité de coordination et de rédacteurs spécialisés chargés des différents chapitres, qui travailleront en liaison avec des experts issus de divers horizons ainsi que des experts retraités. Akko Maas, le coordinateur scientifique du bureau du directeur général, et Jesús Izquierdo, le directeur adjoint de la division Intégration centrale, assureront l'interface entre ITER et le comité de rédaction.
Le groupe de contrôle des documents a déjà commencé à compiler la documentation existante et à collecter et numériser les documents papier qui remontent aux origines d'ITER.
« Rétrospectivement, il faut reconnaître que les décisions techniques d'ITER ont été publiées de manière très incomplète, admet Jesús Izquierdo. Nous devons rattraper notre retard afin d'éviter que cette précieuse mémoire se perde lorsque la première génération d'ingénieurs et de physiciens du programme disparaîtra. Le problème tient en partie au fait que les ingénieurs, contrairement aux physiciens, tendent à se focaliser sur la mise en œuvre des projets plutôt que sur leur publication et négligent parfois la documentation. Nous devons donc revenir en arrière et nous assurer que nous comprenons comment les choses ont été faites, puis enregistrer tout cela. »
« Nous allons établir quand mais aussi pourquoi les décisions techniques ont été prises et les choix technologiques fondamentaux mis en œuvre, ajoute Gianfranco Federici. Des travaux de recherche et développement considérables étaient nécessaires, et ont été réalisés, et nous devons mettre en lumière les enseignements qui en ont été tirés, qu'ils soient positifs ou négatifs. »
Comme l'a souligné à de nombreuses reprises Pietro Barabaschi, le directeur général d'ITER, les experts ont tendance à publier les bons résultats et non les enseignements tirés des directions qu'ils ont abandonnées. Mais ces deux aspects sont importants : le « savoir-faire » et le « savoir-quoi-ne-pas-faire ».
L'intégration d'experts retraités qui collaboreront avec la nouvelle génération d'ingénieurs est une composante essentielle et l'un des points forts du projet.
« Pour moi, c'est l'un des aspects les plus passionnants de cette entreprise, poursuit Gianfranco Federici. Nous allons rencontrer le plus grand nombre possible d'anciens de l'époque où ITER a été conçu. C'est notre dernière chance de recueillir leur expertise à la source car la première génération avance en âge. Et nous sommes émerveillés de constater à quel point la passion de ces ingénieurs et physiciens pour ITER est intacte, alors que certains d'entre eux ont quitté depuis longtemps la vie professionnelle. »
Le projet de compendium d'ITER est ambitieux par son périmètre et l'équipe devra relever un défi majeur : réunir tous les éléments dans une publication synthétique à la fois facile d'accès et compréhensible non seulement pour les acteurs présents du programme ITER mais également pour la communauté de la fusion au sens le plus large. L'un des principaux objectifs est de rendre ces informations disponibles et facilement accessibles pour ceux qui sont, ou seront, appelés à prendre des décisions concernant l'évolution d'ITER.
« L'organisation des données et des informations est une compétence en soi, dit Jesús Izquierdo. Autrefois, le principal défi était d'obtenir des données. Mais aujourd'hui, les données sont omniprésentes et toute la difficulté est de parvenir à extraire celles qui nous intéressent de tout le « bruit » qui les entoure. Nous devons absolument gagner en valeur, depuis les données brutes et l'information jusqu'aux connaissances. C'est la tâche à laquelle nous allons nous atteler lors de l'élaboration du compendium d'ITER. »
Garantir une parfaite compréhension des complexités du programme, de sa genèse aux évolutions de sa conception, de ses origines à aujourd'hui repose sur une énorme collecte d'éléments. Le compendium devra intégrer une description complète du dispositif, ainsi que les raisonnements sur lesquels se fondaient les choix techniques qui ont été faits au fil du temps pour garantir que les systèmes répondent au cahier des charges et aux exigences du programme en termes de performances et de fonctionnement. Ces choix concernent des domaines aussi divers que la conception des aimants et des installations sous vide, la sûreté et les méthodes de confinement, et jusqu'à la configuration du plasma. Tout ceci doit être fait de manière claire et autonome, sans nécessiter d'accès privilégié à un système de gestion de documents.
L'objectif est la transparence totale—il s'agit de faire du compendium un outil efficace pour l'ensemble des acteurs du programme ITER, une référence utile pour l'ensemble du secteur privé et une ressource pédagogique pour tous ceux qui, dans le monde, travaillent dans le domaine de la fusion nucléaire.
« Je pense qu'il est tout aussi important d'apporter aux entreprises publiques et privées un meilleur sens des réalités et des considérations techniques, affirme Gianfranco Federici. Les déclarations extrêmement optimistes sont légion. L'énergie de fusion est porteuse de telles perspectives qu'il est tentant de 'promettre' en omettant de mentionner les réserves et les obstacles restants. Et c'est en partie de notre faute. Mais nous devons aujourd'hui partager les connaissances dont nous disposons afin que chacun puisse réellement comprendre les défis et les impasses éventuels. »
« Nous souhaitons que le compendium soit une contribution précieuse et utile au programme ITER, conclut Jesús Izquierdo. ITER a été conçu comme une contribution généreuse et désintéressée à l'ensemble de l'humanité. Nous pensons que, pour réaliser cette promesse, il est important de partager les connaissances dont nous disposons. En effet, la connaissance, comme les mégawatts, sont une force. »
Pour toute question, veuillez contacter directement Gianfranco Federici à l'adresse @email.