Stellarators

« Les choses sont différentes aujourd’hui »

La montée en puissance de la technologie des stellarators propulsera-t-elle toute l’industrie de la fusion ?

La forme complexe des stellarators permet de maintenir le confinement du plasma et de réduire les risques d’instabilité. Considérés comme les « cousins » des tokamaks, ils font eux aussi appel au confinement magnétique pour contrôler le plasma chaud.

Après des décennies de promesses, les travaux sur une énergie de fusion issue des stellarators s’accélèrent grâce à une conjonction de facteurs : une hausse des investissements, les avancées de la modélisation informatique, des start-up ambitieuses, l’appel à construire une installation expérimentale publique aux États-Unis, et une initiative d’ITER pour un partage d’expertise avec le secteur privé.

« Je suis convaincu que la fusion commerciale est à notre portée grâce aux stellarators », affirme Lucio Milanese, le cofondateur et directeur de l’exploitation de Proxima Fusion, une start-up européenne issue de l’Institut Max-Planck de physique des plasmas qui se spécialise dans les stellarators de type « quasi-isodynamique (QI) ». « Les défis techniques ont toujours existé mais les choses sont différentes aujourd’hui car une multitude de solutions nouvelles sont envisageables. »

Dans l’univers des dispositifs de fusion, les tokamaks tels qu’ITER et les stellarators comme le Wendelstein 7-X allemand sont considérés comme « cousins » car ils utilisent tous deux le confinement magnétique pour contrôler le plasma chaud. La principale différence réside dans le fait que les tokamaks associent des champs magnétiques et un courant induit pour confiner le plasma alors que les stellarators n’utilisent que le confinement magnétique, ainsi qu’une chambre et des aimants de forme sinueuse pour conférer au plasma la forme hélicoïdale recherchée.

Alors que les tokamaks occupent le devant de la scène depuis plusieurs décennies grâce à des projets historiques comme le Joint European Torus (JET) et ITER, la renaissance tant attendue de la technologie des stellarators semble aujourd’hui se concrétiser. Et ceci grâce, entre autres, au succès des expérimentations du Wendelstein 7-X, qui ont montré que les pertes d’énergie qui affectaient les premiers stellarators ont été solutionnées.

La chambre des stellarators, qui se distingue par sa forme complexe, a aussi bénéficié de certains progrès décisifs. Ainsi, la modélisation informatique a permis d’élargir les tolérances des aimants, ce qui allège les contraintes d’assemblage. La conception de la région de confinement magnétique a également été améliorée afin d’obtenir des symétries plus précises. Par ailleurs, un groupe d’entreprises travaille à simplifier les surfaces des stellarators pour les rendre planes ou cylindriques, ce qui facilitera la fabrication et réduira les coûts.

Pendant l’atelier ITER-secteur privé sur la fusion qui s’est tenu en mai, la session consacrée aux stellarators a réuni, de gauche à droite : Thomas Klinger, directeur scientifique du programme Wendelstein 7-X, Lucio Milanese, cofondateur et directeur de l’exploitation de Proxima Fusion, et Richard Kembleton, directeur scientifique de Gauss Fusion. Francesco Volpe (Renaissance Fusion), David Gates (Thea Energy), Takyua Goto (Helical Fusion) et David Vickerman (Type One Energy) ont aussi pris part à la discussion.

Tous ces progrès se sont traduits par une forte augmentation des investissements. D’après la société de conseil en technologies propres Cleantech Group, les entreprises privées du secteur des stellarators ont réalisé un nombre record d’opérations de capital-risque en 2023 et au début de l’année 2024. Par ailleurs, dans son rapport annuel 2024, la Fusion Industry Association souligne que les stellarators sont aujourd’hui la technologie dominante chez les 45 sociétés du secteur privé de la fusion interrogées : huit d’entre elles utilisent des stellarators, suivies de sept programmes de confinement inertiel par laser et de six programmes de tokamaks (classiques et sphériques).

Le développement des stellarators a bénéficié d’un nouveau coup d’accélérateur en mai 2024, lorsqu’ITER Organization a invité les entreprises de fusion du secteur privé afin de jeter les bases d’un partage d’expérience et d’information. Une séance spéciale a été consacrée aux stellarators, avec six entreprises de premier plan : Type One Energy, Renaissance Fusion, Thea Energy, Gauss Fusion, Helical Fusion et Proxima Fusion, ainsi que l’Institut Max-Planck de physique des plasmas (IPP), qui exploite le Wendelstein 7-X. Pouvoir partager les connaissances d’ITER est particulièrement intéressant pour les constructeurs de stellarators car ces deux technologies se recoupent en grande partie et les progrès des uns peuvent bénéficier aux autres. Une récente analyse de la technologie des stellarators publiée à l’occasion du Forum économique mondial établit un parallèle avec les véhicules électriques et thermiques. Quelle que soit la méthode de confinement magnétique, certains éléments essentiels des tokamaks et des stellarators, tels que les couvertures tritigènes et les divertors, sont très similaires, de la même manière que les véhicules électriques et thermiques sont équipés de systèmes de direction et de freinage identiques. 

C’est en raison de ces points commun qu’une entreprise comme Gauss Fusion, qui a été fondée par des industriels ayant fourni des composants à ITER et qui prévoit de construire une centrale de fusion autour d’un stellarator, attend beaucoup de l’initiative de partage d’information. « ITER peut nous apporter son expertise pour les technologies de fusion qui présentent une compatibilité croisée avec les stellarators, explique Richard Kembleton, le responsable scientifique de Gauss Fusion, qui travaillait auparavant sur le programme de fusion européen DEMO pour le compte d’EUROfusion. Les enseignements du programme ITER, que ce soit en termes de développement, d’approvisionnement ou de gestion de projet, sont aussi des ressources vitales. »

Infographie de la chambre à plasma et des bobines magnétiques du dispositif de fusion Wendelstein 7-X (MPI pour Plasma Physics).

L’optimisme suscité par les stellarators est devenu encore plus manifeste l’été dernier, lorsqu’un groupe d’une vingtaine de scientifiques de la fusion a publié un article appelant à construire aux États-Unis, dans le cadre d’un programme public, une installation de physique des stellarators, la Flexible Stellarator Physics Facility. Selon ces chercheurs, dirigés par Felix Parra Diaz du Princeton Plasma Physics Laboratory, tester la technologie des stellarators à grande échelle démontrera qu’elle peut aider les États-Unis à atteindre les objectifs de leur stratégie pour une énergie propre, la Decadal Vision for Commercial Fusion Energy. Cette proposition a été saluée par la communauté américaine des stellarators, notamment par Thea Energy, l’une des entreprises qui travaillent à simplifier les stellarators grâce à des aimants de conception plane.

« Toute la communauté de la recherche sur la fusion est demandeuse de ce type de dispositif en raison de l’enthousiasme suscité par les nouveaux résultats de confinement obtenus par le Wendelstein 7-X, souligne David Gates, le cofondateur et directeur technique de Thea Energy. Nous espérons que la communauté des stellarators parviendra à créer cette installation et nous souhaitons nous engager à ses côtés pour donner corps à ce concept majeur. »

Mais les stellarators sont confrontés au même défi que l’ensemble du secteur de la fusion : le financement. En effet, le financement des programmes privés et de l’installation expérimentale publique envisagée représente un investissement de plusieurs milliards d’euros. Francesco Volpe, fondateur et PDG du constructeur français de stellarators Renaissance Fusion, affirme que, pour tenir ses promesses, la technologie des stellarators doit devenir plus abordable. Les progrès des technologies de la fusion—notamment les supraconducteurs à haute température (HTS) qui réduisent le coût du confinement magnétique, et les métaux liquides qui prolongent la durée de vie de certains éléments essentiels—constituent un pas dans la bonne direction. Mais Francesco Volpe pense que les approches spécifiques aux stellarators, comme le concept simplifié sur lequel travaille Renaissance qui utilise une chambre cylindrique à revêtement HTS mis en forme par gravure, pourraient aussi réduire les coûts de fabrication.

« Nous devons changer de point de vue, affirme-t-il. Nous comprenons suffisamment bien la physique pour commencer à construire le prochain stellarator, mais avec le risque que personne ne l’achète pour une centrale électrique. Nous devons faire preuve d’ingéniosité pour concilier ce remarquable concept de physique avec l’ingénierie pragmatique et la compétitivité économique. » 

Cette confluence de développements pourrait aboutir à la percée longtemps attendue des stellarators, et ainsi faire décoller tout le secteur de la fusion. « Nous approchons de moments décisifs pour les tokamaks et les stellarators, qui permettront à la fusion de prendre son envol, prédit Lucio Milanese de Proxima Fusion. Nous sommes cousins, et même frères. »